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mardi 6 novembre 2012

La folie (immobilière), ça se danse

Repost du 30/11/2010 10h04

Les causes des problèmes financiers irlandais sont profondément ancrées dans la conscience populaire occidentale et ne concernent pas que le Connemara.

En effet, l’investissement immobilier est probablement l’un des placements les plus courants, et ce parce que, traditionnellement, les gens aspirent très tôt à l’accession a la propriété. D’autant plus que celle-ci est perçue comme bénéfique pour la société et encouragée par l’Etat, via par exemple les prêts à taux zéro en France ou la création de Fannie Mae et Freddie Mac aux US. C’est donc un fondement de la société capitaliste, où l’on achète son lopin de terre, son espace privé et, crucialement, c’est ce que tout le monde fait (mis à part peut-être Arlette Laguiller). Mais en achetant sa maison ou son deux pièces kitchenette, la plupart des gens pensent à la valeur de revente. Ils pensent donc souvent à la valeur de leur investissement.

Et comme cet investissement touche non pas des professionnels chevronnés ou des capitalistes aux poches sans fonds, on le retrouve souvent en marge voire au centre des grandes crises économiques, celles ou l’irrationnel a une part non négligeable. On le retrouve même dans les Sopranos, avec une réplique qui donne la base de la réflexion: lorsque Tony décide d’investir dans un HUD, un genre d’HLM dans le New Jersey, son piston lui dit: « Buy land, I guess. God ain’t making any more of it », en Français, « Achetez de la terre, Dieu n’en créera plus ». Il est aussi intéressant de voir comment l’histoire se répète entre les années 30 et maintenant: la Floride dans les années précédant la crise de 29 faisaient déjà l’objet de paris absurdes, où des maisons étaient construites au milieu de marais insalubres… Pour finir en ruine, comme aujourd’hui.

L’Irlande d’aujourd’hui

Et ça, c’est exactement ce qui s’est passé avec l’Irlande et avec l’Espagne. A partir d’une croissance forte, poussée par des gains de productivité et par une flexibilité accrue pour les investissements (et cela dit au passage une vulnérabilité accrue en cas de crise), le « Tigre Celtique » a vu un début de flambée des prix de l’immobilier, par un simple équilibrage de l’offre et de la demande. Mais c’est là que ça dérape: attirés par le bon filon, un peu comme avec la Mer du Sud ou la Tulipe, le quidam moyen ainsi que les flux de capitaux de court terme, versent leur argent dans des biens immobiliers de plus en plus éloignés de leur valeur fondamentale, créant une bulle spéculative (dès 2001-2002 selon The Economist) qui a éclaté une fois le Credit Crunch survenu.

Les banques irlandaises se sont bien évidemment gorgées dans cette orgie d’investissement. Jusqu’à dépasser le PIB irlandais en terme d’actifs (on parle d’un ratio de un pour huit), lesdits actifs étant acquis de plus en plus loin de leurs bases, à Boston par exemple comme en témoigne cette affaire où un partenaire de Bono (un Irlandais celui-là, non?) poursuit la National Asset Management Agency (NAMA) irlandaise. Parce que lorsque la bise est venue, et qu’Anglo Irish, Allied Irish et consorts furent dépourvus, ce fut à l’Etat de prendre en charge leur dette, selon une conception moitié due à Keynes, moitié due à Friedman. Pour éviter une crise bancaire, il a fallu injecter des liquidités (d’un hélicoptère comme dirait l’autre) et c’est l’Etat qui s’y est collé, et il a pris cher, au propre comme au figuré: les irlandais, sur le modèle des suédois dans les années 90, ont mis en place ce que les anglophones appellent simplement une bad bank (la NAMA donc ici) où les prêts à risque sont stockés, laissant un système  bancaire assaini en terme de possibilités de faillite.


Avant d’entrer dans les détails, il faut bien comprendre d’où provient le risque: la valeur d’un prêt dépend en général des taux d’intérêts associés au prêt, de la courbe des taux et bien évidemment de la somme totale prêtée (le notionnel). Mais bien évidemment, lorsqu’on emprunte à une banque elle prend en compte la situation financière de l’emprunteur, c.à.d. ses sources de revenus, son historique de paiements etc. Mais imaginons qu’une fois que la banque a prêté cet argent, on se retrouve soudain au chômage. Le prêt perd instantanément de sa valeur du fait que le risque pour la banque de ne pas revoir son argent est démultiplié. C’est exactement ce qu’il se passe dans la crise actuelle, transposé au cas des prêts immobiliers, car lorsque les prix s’effondrent, les banques se retrouvent avec des pertes colossales, situation parfois empirée lorsque l’emprunteur fait faillite et la banque se retrouve avec un immeuble vide au milieu de nulle part. Et ainsi, pour revenir à nos moutons, pour débarrasser les banques irlandaises de ces occases du siècle devenues gouffres sans fond, la NAMA achète ces prêts avec une ristourne de deux tiers, se finançant en émettant de la dette garantie par l’Etat irlandais, qui s’engage donc à rembourser les acheteurs à hauteur de leur investissement en cas de faillite de la NAMA. Il faut aussi noter que ce risque est élevé vu que la bad bank concentre ces actifs toxiques (mais qu’il n’y a rien d’inéluctable : les Suédois s’en sont sortis avec un bénéfice par exemple).

C’est là que la crise immobilière issue de décisions privées se transforme en crise de dette souveraine : en renflouant les banques directement d’un côté, et en se portant garant des créances pourries de l’autre, l’Irlande, qui comme on l’a dit est économiquement plus petite que ses banques, concentre tous les risques au même endroit… La crise irlandaise en d’autres termes!

Le risque de contagion

Le plus intéressant là-dedans est probablement la signification pratique de ceci pour nous autres les Gaulois. Le scenario tel que décrit par la presse récemment voit les problèmes de l’Irlande s’étendre à l’Espagne et au Portugal, tout en donnant le coup de grâce à la Grèce. La contagion en finance internationale reste un phénomène assez difficile à expliquer par des arguments rationnels, mais l’idée est la suivante et tient assez simplement dans le dicton: « Chat échaudé craint l’eau froide ». Ainsi va de même pour les investisseurs, qui perdant leur mise sur l’Irlande, coupent leur pertes sur les autres pays mal en point, de fait fermant l’accès aux capitaux internationaux à des pays.

De là, deux issues sont à envisager, l’une coûteuse pour toute l’Europe, la seconde dramatique et vendeuse de feuille de chou mais me semblant inenvisageable.
Dans le premier scenario, face à ce jeu de domino, le Fonds de secours de l’Union Européenne jette l’argent du contribuable (principalement français et allemand) au secours des défaillants pour leur permettre de se financer au jour le jour et d’assurer le remboursement de leurs dettes. Le sauvetage est bien sur assujetti à des conditions draconiennes comme les Allemands les aiment, avec coupes sombres dans les dépenses publiques pour revenir aux conditions initiales du pacte de stabilité.

Le deuxième scenario voit tout bonnement le démantèlement de la zone euro, à divers degrés, mais les eurosceptiques d’outre-Manche s’accordent généralement sur un bloc continental resserré autour d’un axe franco-allemand. Ceci se produirait car traditionnellement, face à une dette extérieure massive, les pays en difficulté tels l’Italie d’avant l’Euro, dévaluaient leur monnaie, ce qui faisait que la dette valait moins en terme de devise étrangère, augmentait la compétitivité du travail et baissait le prix des exportations. Mais ici, j’ai du mal à voir quel effet cela aurait dans la mesure où la dette est émise en Euros… Un ami économiste me suggère que cela ferait partie d’un accord plus général de restructuration de la dette, mais je vois mal les investisseurs tomber dans le panneau à ce point là. Indépendamment, à mon sens, considérer la sortie de l’Euro d’un des Etats membres est presque aussi saugrenu que d’imaginer la Californie sortant du dollar… Car en l’état actuel des choses, le passage ne consisterait pas simplement à revenir au Franc par exemple, mais à recréer le Franc, avec tous les coûts et difficultés associés.

Au pire la BCE imprime…


Non, non, clairement, la première solution est la plus crédible, même si la seconde fait figure de joli conte de sorcière, tout bonnement parce que la Banque Centrale Européenne va utiliser la planche à billets (ou plus précisément, continuer à l’utiliser). Il faudra peut-être utiliser un tueur à gage pour éliminer Trichet et le remplacer par Axel Weber, mais les pouvoir conférés par les politiques a la BCE, ces mêmes politiques peuvent les reprendre. En effet, ce que les Allemands cherchent à éviter par-dessus tout, c’est qu’un Etat membre ne fasse défaut sur sa dette comme l’a fait la Russie en 1998 par exemple. Parce que ça fait tache. Par ce qu’ils font de gros efforts pour être au dessus de tout soupçon. Et parce que l’Euro a vocation à être une monnaie refuge… C’est viscéral, mais je ne pense pas qu’on puisse le leur reprocher, car quand on se considère comme un bloc qui a vocation à prendre en main les destinées du monde (au minimum derrière les Chinois et les Américains), on ne peut pas se louper sur un truc aussi basique et aussi souverain que sa monnaie…