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vendredi 20 décembre 2013

Esther Duflo - L'économie en pratique

Economiam veut aussi parler de ces économistes français qui font avancer la science à l'étranger. Aujourd'hui, une présentation d'Esther Duflo et de ses travaux sur l'économie du développement.

Action woman

Cet article aurait pu s'appeler "éloge de la contingence". On reproche souvent aux économistes de trop vouloir raisonner en absolu avec des grandes théories (de préférence mathématiques). Esther Duflo, elle, a choisi de prendre le chemin inverse et de mettre les mains dans le cambouis : plutôt que de s'attaquer en bloc à un grand problème mal défini, en l'occurrence la pauvreté, elle a décidé de se consacrer à une série de cas particuliers, en procédant étape par étape.

Ce programme est contenu dans le nom de l'unité de recherche qu'elle a créée au MIT, le Poverty Action Lab (PAL). Car tout est là : sortir de son bureau pour agir plutôt que de débattre dans le vide sur des théories qui rechignent à être mises en pratique.

Un coup de dé jamais n'abolira le hasard

Mais autant laisser la parole à la principale intéressée dans cette vidéo (sous-titrée en français) filmée lors d'une conférence TED :




dimanche 8 décembre 2013

Petit topo sur les taux d'intérêt négatifs

Les taux d'intérêt négatifs, vous en avez sûrement entendu parler aux infos. Mais ça veut dire quoi au juste ? Et pourquoi diantre paierait-on pour prêter de l'argent ? A l'heure où la Banque Centrale Européenne remet le sujet sur le tapis, quelques explications sur Economiam.

Just easy as A, B, C

Le but de ce post est surtout de clarifier les différents contextes dans lesquels on peut parler de taux d'intérêt négatifs. Economiam en connaît trois :

(Vous pouvez directement sauter aux sections qui vous intéressent en cliquant sur les liens).

dimanche 24 novembre 2013

FN : "Je règle mon pas sur le pas de mon père"

Près de la moitié des Français voient Marine Le Pen comme la personnalité politique la plus à même de réformer le pays, et nombreux sont ceux qui sont tentés de voter pour elle, sans pour autant se reconnaître dans l'idéologie de son parti. Nous allons donc analyser le programme économique du FN en évitant la bien-pensance mais assurément sans complaisance, et essayer de comprendre les réelles implications de ce choix pour son électorat.

Non, non rien n'a changé...

Election time in France
Am stram gram...
Le FN met le doigt là où ça fait mal pour beaucoup de Français. Si le Front National séduit autant, c'est qu'il donne l'impression d'écouter les catégories sociales les plus affectées par les bouleversement économiques et institutionnels qui transforment le monde (mondialisation, progrès technique, etc), en affirmant être en mesure de répondre à leurs inquiétudes et à leur peur du déclassement. Mais le véritable tour de force est à trouver dans ce que le FN a réussi à devenir le premier parti ouvrier de France tout en conservant son électorat traditionnel, les travailleurs indépendants tendance droite souverainiste, rassemblant ainsi deux groupes dont les intérêts ne sont pas franchement alignés.

Pour parvenir à ce grand écart, le FN a bien changé de discours économique depuis vingt ans : d'une certaine admiration pour le libéralisme reaganien de la part de Jean-Marie Le Pen, le nouveau visage du Front National offert par sa fille Marine Le Pen se revendique de "l'Etat stratège" et de "l'anti-mondialisation". Mais les grands quotidiens se trompent en se concentrant sur ce changement de vocabulaire car il ne s'agit là que d'un faux semblant.

En effet, dans la bouche du FN, anti-mondialisation ne veut certainement pas dire anti-capitaliste et anti-marchés, loin de là. Il s'agit en fait d'une stratégie de repli sur soi, dans la droite lignée de l'idéologie du parti. 

lundi 30 septembre 2013

L'économie circulaire tourne-t-elle rond ?

L'économie circulaire a été l'un des sujets stars de la conférence environnementale et suscite beaucoup d'intérêt. En effet, c'est une idée qui, sur le papier ne peut que plaire mais est-elle en fait trop belle pour être vraie ? Petit topo sur Economiam.

Boucler la boucle

Le concept de l'économie circulaire est simple : les produits ne sont plus fabriqués et consommés de manière linéaire selon un schéma (prélèvement de ressource->consommation->poubelle) mais conçus et mis en vente de façon à pouvoir être utilisés plusieurs fois (voir illustration ci-dessous). Ceci peut être accompli soit en rendant le produit facilement démontable pour en tirer la substantifique moelle (imaginer une voiture en kit), soit en développant un système en cascade où les déchets de l'un sont réutilisés par l'autre (par exemple un pull en laine qui devient un rembourrage de meuble quand il est trop usé). On voit donc aussi que ce système diffère dans une certaine mesure du simple recyclage, qui refait passer le déchet par la case départ du matériau brut, au lieu de reprendre le produit tel quel.
(c) Ademe

Mais la simplicité n'empêche pas d'être ambitieux : selon la fondation Ellen MacArthur, qui a commandité plusieurs rapports au cabinet de conseil McKinsey, avec le soutien de grands groupes industriels tels que Renault, les économies de matières premières ainsi réalisées pourraient représenter environ 3 à 4% du PIB à l'échelle de l'Union Européenne, soit 350€ à 600€ milliards par an selon les scénarios (les consultants aiment beaucoup les scénarios). Selon eux, dans un cas de figure optimiste (mais réaliste), on pourrait atteindre environ 20% des coûts actuels à l'horizon 2025.

Et bien évidemment, le tout se fait en étant porteur de valeurs positives comme la collaboration, la sauvegarde de l'environnement, etc. En plus, on nous annonce que ça fait des emplois sur notre territoire et qu'on n'aura plus besoin ni de polluer ni d'acheter du gaz à la Russie. Que demande le peuple ?

mardi 17 septembre 2013

Au revoir 00h00.com

Alors qu’Economiam vient de se pencher sur le Krach de 1929, revenons sur la crise que nous traversons actuellement, l’autre crise, celle qui n’aurait plus jamais dû se produire. Tout commence dans les années 90, lorsqu’on pensait avoir tout compris du fonctionnement de la macroéconomie, qu’Alan Greenspan était l’omnipotent président de la Fed et que seuls subsistaient quelques petits nuages dans le ciel serein de l’économie théorique, pour paraphraser Lord Kelvin. Puis survint le 21e siècle, sans bug de l’an 2000, mais avec un sacré foutoir ! Dernier article de la Saga des Bulles en guise de conclusion, sur une période que les plus de dix ans ont tous vécue.

Le rayonnement du corps noir

Dans cet épisode, notre héros s’appelle Alan Greenspan. Tout le monde le connaît aujourd’hui, mais il entre véritablement dans l’histoire le 19 octobre 1987, que certains (avec une originalité confondante) appellent le Lundi Noir. Ce jour là, les bourses mondiales s’effondrent, perdant entre 20 et 50% en une seule journée, de quoi ressusciter le spectre d’une nouvelle Grande Dépression. Mais le très monétariste Greenspan a appris la leçon de ses prédécesseurs : il ouvre grand les vannes de la Fed qu’il dirige et stoppe l’hémorragie. C’est le début de la légende et cet activisme de la Fed reçoit le doux nom de « Greenspan put », du nom d’un produit financier qui permet de s’assurer à la baisse.

La petite quinzaine d’années qui suit est un âge d’or économique pour les Etats-Unis : les récessions sont peu sévères, la croissance est en moyenne très forte et le budget du gouvernement est en surplus de façon persistante. Bref, tout baigne ! Même les crises semblent vouloir se résoudre dans le calme, comme en témoigne la fin du hedge fund LTCM qui, après quelques soubresauts dus aux marchés internationaux, est liquidé par ses créditeurs, sous la houlette de Greenspan. En reconnaissance de sa gestion des crises sur les marchés émergents (Tequila, Asie du Sud-Est…) aux côtés de Robert Rubin et Larry Summers, il fait la couverture du Time Magazine. Ces trois là deviennent le « Comité pour sauver le monde »… Ne manque plus que la cape et la Batmobile !

Pourtant, en dehors des Etats-Unis subsistent quelques zones d’ombre. La Japon est en proie à la stagnation et est tombé en plein dans une trappe à liquidité dont il peine à s’extirper, tandis que l’Europe croule sous le poids de son taux de chômage. Mais bon sang ne saurait mentir, le verdict américain est sans appel : c’est la faute à une gouvernance économique inepte, qui refuse d’embrasser l’orthodoxie libérale américaine et les réformes structurelles. Voilà la majeure partie du monde occidental rejeté au rang de curiosité théorique…

Pride goeth before a fall

En arrière-plan, se développe une nouvelle technologie, l’Internet. La magie du numérique incite les gens à investir sans retenue dans la révolution de demain, au point de demander des taux de rendement de 0% à des entreprises qui ont un historique continu de pertes et qui s’avéreront ne jamais payer un seul centime de dividendes. On a parlé précédemmentde l’étude de Brunnermeier et Nagel : une fois n’est pas coutume, on ne va pas s’attarder plus longtemps sur le fait que cette formidable appréciation du cours des actions des entreprises de technologie n’était rien d’autre qu’une bulle.

A l’Ouest donc, rien de bien nouveau. Mais là où ça devient intéressant, c’est quand on apprend que si le Greenspan Put a de nouveau fonctionné en relançant la croissance, il y a un sacré hic : l’emploi ne repart pas. Encore une curiosité théorique peut-être ? Mais bon, certainement en voilà une qui fait tache, et dont on ne connaît toujours pas l’explication… C’est ce qu’on appelle la Jobless recovery, le redémarrage sans l’emploi.

Credit crunch

Ce qui nous amène, bon an, mal an, à ce que nous vivons actuellement. Se rendant quand même compte qu’une partie de son mandat consiste à favoriser l’emploi, la Fed garde une position très accommodante en termes de liquidité en maintenant les taux d’intérêt plutôt bas. Le coût du crédit est donc très faible après l’éclatement du Dot.com boom. Le terrain est donc préparé pour la prochaine bulle, du crédit et de l’immobilier celle-là, avec la formidable expansion de l’endettement américain qui a éclaté en la crise que l’on sait.

Bien évidemment, cette récession ne se résume pas à ce seul facteur. Le post-mortem continue et durera sûrement encore pendant un bout de temps. Mais toujours est-il que ce sujet de la position à adopter par les banques centrales est crucial pour les années à venir : pourquoi la Fed n’a-t-elle pas agi pour contenir la bulle immobilière qu’elle voyait se développer sous ses yeux ? Les politiques de Quantitative Easing que suivent actuellement les anglo-saxons ne vont-elles pas nous mener à une nouvelle surchauffe ? Ou bien est-ce la Banque Centrale Européenne qui est suicidaire dans sa rigueur monétaire ?

Il reste donc beaucoup de réponses à apporter. Cette crise a vu le retour de points de vue hétérodoxes sur l’économie, la sortie d’outre-tombe d’un certain nombre d’économistes défunts (au premier rang desquels Minsky) ainsi que la volonté d’intégrer le secteur financier aux modèles macroéconomiques. L’histoire économique, en particulier des bulles, fait aussi un comeback retentissant. Mais pour ce qui nous concerne, la fin de l’été approchant, c’était bel et bien le dernier épisode de notre Saga des Bulles !

Pour ne pas rester sur cette conclusion très sérieuse et comme on aime aussi s’amuser sur Economiam, voici deux comics strips de Dilbert sur le Dot.com boom. Enjoy !

Dilbert.com
Dilbert.com

Sometimes, I get a good feeling

S'il est une leçon que les floridiens vont finir par retenir, c'est bien que la vie est un éternel recommencement : à l’aube du 21e siècle comme dans les Années Folles, le Sunshine State fut un condensé de ce qui se fit de pire en termes de folie spéculative. Pourtant après avoir vu les gens se prendre de passion pour des tulipes ou des peaux de castor, pourquoi cette folie-ci a-t-elle mené à la Grande Dépression ? Qu’est-ce qui différencie donc le Krach de 1929 de ses glorieuses aînées ? C'est la question qu'on se pose dans cet épisode de notre Saga des bulles.

Boardwalk Empire

Un éléphant, ca trompe énormément...
Dans une décennie prolixe en images fortes, de Gatsby le Magnifique à Josephine Baker, sans oublier le boardwalk d’Atlantic City, le nom de Carl Graham Fisher ne vous dit peut-être rien. Cependant, son parcours incarne la quintessence des Années Vingt, celles que l'on qualifie donc de Folles. Nous sommes 1926 et Fisher est déjà bien établi lorsqu'il décide de faire sortir Miami Beach de ce qui n'est alors qu'un immense marécage. Il n'en est assurément pas à sa première fortune, ayant vécu lors de cette période de développement débridé du grand capital que traversent les Etats-Unis depuis plusieurs décennies : c'est l'époque des Robber Barons avec la création de monopoles de fait sur nombre d'industries dont particulièrement les chemins de fers.

mercredi 4 septembre 2013

Et Newton redécouvrit la gravité


Londres. Pour beaucoup, le temple du libéralisme et de l’innovation financière. Mais il fut aussi un temps où la Perfide Albion, pour une fois en paix avec les Froggies, prenait Paris pour modèle économique. A la suite du Système de Law, l’Amérique du Sud enflamme les passions dans les rues de la City, dans un des premiers épisodes de contagion financière internationale. De Cheapside à Threadneedle Street, en passant par Fleet Street, la bulle des Mers du Sud est une histoire où Newton himself perdit sa chemise, ce qui lui fit proclamer qu’il pouvait « calculer le mouvement des astres, mais pas la folie des hommes » !


Sea, sex and sun

Au début du 18e siècle en Angleterre, la société par action est un concept naissant. Ses plus importants représentants sont la Bank of England (l’ancêtre de la banque centrale actuelle, qui est pourtant à l’époque une entreprise privée à but lucratif) et la East India Company qui détient le monopole du commerce avec l’Asie. Celle que nous allons examiner aujourd’hui, la South Sea Company est lancée sous des augures tout ce qu’il y a de plus officiels : commanditée avec une charte royale par Robert Harley (le Chancellor of the Exchequer de la Reine Anne) vers 1711, son gouverneur est tout simplement le roi George Ier lui-même au moment des événements qui nous intéressent.


Newtons Apple
Newton aurait-il aussi une recommandation d'investissement sur l'action Apple ? 

En se basant sur son nom complet, The Governor and Company of the merchants of Great Britain, trading to the South Seas and other parts of America, and for the encouragement of fishing, on pourrait croire qu'on va s'occuper de commercer avec les Amériques. Pourtant, le blocus permanent de l’Espagne dans les mers d’Amérique du Sud va contrarier ces plans… Mais qu'à cela ne tienne, au lieu de faire du négoce, la Company se lance dans les montages financiers !

Là-bas, la loi c’est lui

Car le succès de John Law en France donne de l’inspiration au dénommé John Blunt, fils de cordonnier qui a gravi les échelons de la société pour se trouver à la tête de l'affaire. Sa description évoque un genre de Louie Ranieri (de Liar’s Poker) du 18e siècle : gros, bruyant et surtout terriblement efficace quand il s’agit de mettre en œuvre des montages financiers. C’est lui qui va exécuter l’idée cruciale d’un rachat de la dette nationale anglaise par la Company, financé par l’émission d’actions.

Et comme il mène plutôt bien sa barque, la première opération de ce genre, en 1719, est un succès. Elle abaisse le coût de la dette pour le gouvernement anglais, tout en faisant faire une plus-value aux détenteurs d’obligations (car celles-ci étaient très difficiles à revendre, donc ne valaient pas forcement grand-chose, contrairement aux actions de la Company). L’opération est donc gagnante-gagnante, ou comme le disent les économistes, Pareto efficace !

Forte de cette première expérience concluante, la Company gagne le droit d’essayer de racheter la quasi-intégralité de la dette en 1720, lors d’enchères remportées face à la BoE. Les investisseurs s’enthousiasment pour cette nouvelle offre, et le prix de ses actions crève les plafonds, passant en un an de 100 à 1 000 livres.

Plusieurs facteurs aident à maintenir le buzz. Premièrement, la Company suit des stratégies similaires à celles de la Compagnie de l’Occident en France pour soutenir son cours en permettant aux investisseurs de payer leurs actions en plusieurs fois sans frais et en prêtant directement aux investisseurs pour favoriser leurs achats. D'autre part, l'opération s’accompagne d’une campagne de corruption de grande échelle auprès des Lords et des membres du Parlement1, qui deviennent ainsi des parties prenantes dans la réussite de l’entreprise. Enfin, tout ceci est aussi relayé par les médias naissants de l’époque : les feuilles de choux se passionnent pour les projets boursiers, en particulier à la suite de Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoe.

Le phénomène a une telle ampleur qu'il entraîne dans son sillage les compagnies déjà cotées mais aussi une flopée d'ouvertures de capital à la viabilité parfois douteuse. Ainsi, selon la légende, un prospectus annonce fièrement la création d’« une compagnie visant à accomplir une entreprise de grande valeur, mais dont personne ne connaît encore la teneur »2.


Cours des actions de differentes compagnies en 1720, source Voth (2005)

Des personnages célèbres entrent dans la danse : Newton par exemple investit tôt, et double sa mise. Des poètes aussi se lancent dans ces affaires bassement matérielles, dont par exemple Alexander Pope. Mais grand mal leur en prend : Newton commet l’erreur d'acheter au mauvais moment et perd au final 20 000 livres, soit, selon certains calculs, l'équivalent de £2.4 millions aujourd’hui. Car tout ce qui monte, doit bien redescendre un jour… Quant à Pope, même si, à l'instar de Voltaire, il ne finit pas complètement malheureux en affaire, il écrit les vers sinistres suivants (en VO, les puristes apprécieront) :

Every valuable, every pleasant thing is sunk in an ocean of avarice and corruption. The son of a first minister is a proper match for a daughter of a late South Sea director, so money upon money increases, copulates and multiplies, and guineas beget guineas in saecula saeculorum.

Pfuiiiit

En juin 1720, pour contenir la bulle qui se crée autour d’elle et qui la prive de capitaux frais, la Company use de son influence pour faire adopter le Bubble Act, qui empêche la création d’entreprises par action sans l’accord préalable du Parlement. Ceci, on l'admettra, alourdit passablement les formalités administratives.

Ce faisant pourtant, elle se tire une balle dans le pied, le passage de la loi provoquant une crise de confiance généralisée. Puis les fonds étrangers se retirent, sûrement en conséquence de la débâcle qui se déroule en parallèle de l’autre côté de la Manche. Et pour rajouter de l’huile sur le feu, le système de vente d’actions à crédit cause un manque de liquidité massif. Ceci suit un mécanisme commun aux grands krachs boursiers du 20e siècle : les prêts accordé par la Company sont garantis par la valeur de ses propres actions (un beau gage de solidité...). Si la valeur des actions diminue, elle procède à des appels de marge, c’est-à-dire qu'elle demande à ses emprunteurs de réinjecter de l’argent frais pour maintenir leurs positions ou à défaut de les fermer. Or, ceux-ci vont donc se retrouver à devoir vendre leurs actions tous en même temps, ce qui fait baisser le prix encore plus, provoquant des nouveaux appels marge et ainsi de suite, dans une spirale négative. Un effet similaire se produit avec l’achat d’actions en plusieurs fois, aux dates où les paiements sont dus, avec le même effet de forcer des ventes à perte.

Tout ceci met un terme à la frénésie spéculative qui retombe rapidement à partir d’août 1720. La Company, elle, survivra sous différentes formes pendant encore une centaine d’années.

Bulla, bulla, bullam ?

Comme il est maintenant coutume, nous allons examiner s’il s’agit d’une bulle. D'un côté, Peter Garber calcule qu’au plus haut, la valeur des actifs de la Company se montaient à environ 104 millions de livres tandis que sa valeur de marché (mesurée par la somme de toutes les actions en circulation) s'élevait à 164 millions de livres. Il est d'avis que les 60 millions de capital immatériel que cela représente sont bien trop optimistes. Mais on pourrait à l’inverse argumenter comme Anne Murphy, professeur d’histoire à l’Université du Hertfordshire, que c’est une entreprise qui part sur des bases saines mais qui se lance dans des plans trop ambitieux et qui de plus n’est pas spécialement bien gérée. On voit par exemple que la Compagnie de la Baie d’Hudson, compagnie de négoce anglaise contemporaine de la South Sea Company, a su se rendre profitable jusqu'à aujourd’hui et est devenue l’une des plus grandes chaînes de magasins du Canada.

En tout cas, chez Economiam on penche clairement pour la bulle au vu de l'engouement quasi irrationnel, du plan de développement un peu bancal malgré le soutien visible du pouvoir ainsi que du comportement de certains investisseurs, comme nous allons le détailler dans la section suivante.

La petite bulle appliquée

En effet, il y en a qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu, en suivant une règle simple : acheter bas et vendre haut. Par exemple, Hans-Joachim Voth et PeterTemin ont étudié la stratégie de la banque Hoare3 qui a réussi à faire en quelques mois autant de profit que durant ses vingt précédentes années d'existence. Quand bien même ses gérants avaient tout à fait conscience de faire face à une bulle, ils ont décidé de surfer la vague intelligemment (comme dans le cadre du modèle de Brunnermeier et Abreu dont on a parlé précédemment). En conséquence, il est possible que la bulle ait pu atteindre de telles proportions faute de synchronisation entre les investisseurs les mieux informés pour la faire rentrer dans le rang.

Par ailleurs, selon Kindleberger dans Manias, Panics and Crashes, l’année 1720 est celle de la première crise financière internationale. En effet, nombre d’Anglais placent leurs pions dans la Compagnie des Indes à Paris, tandis que nombres d’étrangers, dont des Français enrichis grâce à leurs investissements les entreprises de John Law, décident d’acheter des actions de la South Sea Company. L’éclatement de la bulle a donc un retentissement européen, affectant les villes des Pays-Bas et du nord de l’Italie ainsi que Hambourg. Les capitaux internationaux n’ont donc pas attendu notre époque pour devenir hyper mobiles !

Et pour conclure notre tour d’horizon des interprétations économiques de la Bulle des Mers du Sud, la parole est donnée à Reinhart et Rogoff, via leur livre This Time is Different. Leurs recherches indiquent qu’un des plus sûrs indicateurs d’une crise à venir est l’accélération de l’innovation financière et le retard des régulations qui l’accompagnent. Ainsi, depuis la création des sociétés par action au 18e siècle, il y a toujours eu un phénomène d’apprivoisement des outils nouveaux. Est-ce que cela sera aussi le cas pour la titrisation et le tranching ?

En parlant d’immobilier américain, prochaine étape, la Floride et ses marécages !
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Pour en savoir plus, un article savoureux de The Economist, qui compare les opérations de la Company à du quantitative easing.



1. Campagne tout à fait légale cela dit en passant. Autres temps, autres mœurs.
2. "a company for carrying out an undertaking of great advantage, but nobody to know what it is"
3. Cette institution existe encore de nos jours et est même la troisième plus ancienne banque au monde

vendredi 30 août 2013

Harder, better, faster, stronger

Un édito de l'anthropologue américain David Graeber, professeur à la London School of Economics, agite le web et vient d'atteindre les médias français. Il y critique les bullshit jobs, qu'on pourrait traduire par boulot pipeau, voire (comme le fait Libé) par métier à la con. La tribune est en elle-même assez confuse, mais si elle suscite autant d'intérêt, c'est parce qu'elle touche du doigt un sentiment que beaucoup partagent à propos de leur travail : "P*** mais qu'est ce que je fous là ?"

Bouse de vache

Comment définir le bullshit job ? La précision ne semble pas être la qualité principale de Graeber, mais entre les lignes, on comprend qu'il s'agit de ces postes sans enjeux où l'on ne touche jamais vraiment du doigt la finalité de ce que l'on fait. Des boulots dans lesquels on a l'impression chaque jour d'avoir une contribution plus que minime à la performance de son organisation et plus généralement à la société. On voit aussi qu'il est fortement caractérisé par un ressenti personnel.

 
Ceci est un message à caractère informatif

Pink Martini

Au-delà, en débroussaillant un peu, on voit que les deux questions posées par l'auteur sont :
  • Pourquoi tant d'insatisfaction au travail ?
  • Pourquoi reste-t-on dans cette situation ?

Pour répondre à la première question, on pourrait argumenter que le travail, et ben, c'était pas cool avant et que ça ne l'est pas beaucoup plus aujourd'hui. En effet, une partie de la rhétorique de l'auteur découle d'une espèce de nostalgie passéiste, et en particulier d'une sorte de romanticisation du métier d'ouvrier telle qu'on peut la retrouver dans le livre Chavs d'Owen Jones. Pourtant quoi qu'on en dise, mineur c'est un métier pénible et on a souvent tendance à en mourir, tandis que gratte papier, ça sonne peut-être moins Germinal, mais on peut rentrer à la maison faire un barbecue sans flipper en regardant les charbons...

En fait, pour un économiste, les choses sont beaucoup plus prosaïques. D’une part, concernant les postes peu qualifiés, les emplois ont été transférés au cours des cinquante dernières années de l'industrie vers les services. Ceci s’explique d'un côté parce que les métiers de l’industrie ont progressivement disparu du fait de l'automatisation des tâches les plus rébarbatives. De l'autre, la spécialisation toujours plus grande des emplois et des économies nous fait vivre dans un système complexe, exigeant énormément de moyens pour être géré. Les emplois qui sont ainsi créés demandent un certain degré de jugement et de versatilité qu'il est pour l'instant impossible (ou pas rentable) d'automatiser (c’est la thèse défendue par le magazine The Economist). Mais ces jobs restent l’équivalent, dans les services, des anciens emplois sur les chaînes de montages, et donc pas très gratifiants…

D’autre part, pour les jobs qualifiés, on entend beaucoup parler (à défaut de chiffres…) de l'insatisfaction des cadres au travail, comme un écho du vieux slogan soixante-huitard : pourquoi perdre sa vie à la gagner ? Je crois que la réponse à cette question est plus sociologique et philosophique qu'économique et je serais bien en peine d'y répondre. Peur de notre mortalité, spleen, pressions insupportables de la méritocratie, bref on en revient toujours à la même problématique : qu'est-ce que le bonheur ?

Futurama

Quant à la deuxième question, il ne s’agit probablement pas d’un complot ourdi par les classes dirigeantes (ou par nous-mêmes, l’auteur s’y perd un peu). Si on pousse la logique économique plus avant, on peut penser que ces métiers de pousse-papier seront appelés à disparaître au fur et à mesure de leur automatisation (comme le prédit par exemple Paul Krugman dans un essai de 1996), suivant ainsi le même chemin que leurs prédécesseurs à l’usine. Entre temps on sera passé des métiers physiquement pénibles aux métiers intellectuellement pénibles. C'est quand même une amélioration ! Et enfin ce qu’il se passera après la tertiarisation se trouve peut-être déjà dans les romans d’Asimov !

Mais en attendant demain, il faut bien vivre, et répondre au mal-être de millions de personnes. La question qui se pose est donc celle de l’organisation de notre société. On peut diminuer les horaires de travail (comme l’a choisi la France) pour profiter des gains de productivité en termes de loisirs et non de revenus. Mais bon, la mondialisation laisse pour l’instant ceci à l’état d’utopie, car il est difficile d’échapper à la course au moins-disant (ou au plus travaillant) dans une logique de concurrence entre les pays. On pourrait aussi à l'inverse pousser les gens à travailler plus, en les incitant à suivre leur propre projet de création d'entreprise par exemple. Il est plus facile de savoir quelle direction on suit quand on se la fixe soi-même...

Cela dit, on peut plus généralement se demander si l'épanouissement au travail est vraiment nécessaire. Après tout, si on travaille, c'est avant tout pour assurer sa subsistance et il n’est pas exagéré de penser que la plupart des gens ne travaillent que parce qu’ils y sont obligés. On s’ennuie, on ferait bien autre chose, c'est la vie mais heureusement, on peut toujours lire Economiam au boulot !

mercredi 28 août 2013

OPA sur le royaume de France

On considère souvent que la bulle dite du Mississipi, qui éclate en 1720, est la première crise spéculative française. Un sujet souvent rabâché et rempli de perruques poudrées. Mais dans le fond, cette histoire, c'est un peu Amicalement Vôtre : d'un côté le royaume de France, sa longue histoire et ses coffres vides. De l'autre John Law, économiste et aventurier écossais en exil. La France, une terre vaste à la recherche d’idées neuves. Law, les idées à foison en recherche d'un terrain d'expression. Une rencontre qui va façonner irrémédiablement l'histoire de France !

Gabelle, belle comme le jour

La-laaa, la-laaa
En 1715, les finances du royaume sont exsangues après les campagnes de feu le Roi Soleil. Le jeune Louis XV, petit-fils de son increvable grand-père, n'est pas encore en âge de régner et le royaume est sous la régence du Duc d'Orléans, qui se fait des cheveux blancs pour essayer de trouver des sous.

Il a pourtant à sa disposition divers moyens de se financer. En plus des emprunts d’Etat qui ont une structure proche de ce qu’on peut observer aujourd’hui, le roi de France délègue la collecte de l'impôt à des fermiers généraux, qui tiennent autant de l’agriculteur que Paul Krugman de Justin Bieber. Ce sont en fait des entrepreneurs privés qui achètent le droit de percevoir diverses taxes directes et indirectes (dont par exemple la gabelle, l'impôt sur le sel) contre le paiement d'une rente au Trésor royal. Une fois acquittés de celle-ci, ils empochent le trop-perçu, ce qui leur permet souvent de s'enrichir démesurément.

Par ailleurs, les prédécesseurs du jeune Louis ont aussi introduit progressivement le concept d'office. Ce sont des charges très largement honorifiques qui semblent souvent le fruit d'une créativité facétieuse : on y retrouve pêle-mêle l'office de relieur-botteleur de foin, d'inspecteur-visiteur des beurres ou encore de langueyeur de porc (qui donc inspecte les langues de cochons...) Le 18e siècle n'a rien à envier aux emplois fictifs de la Mairie de Paris ! Pour obtenir un office, il faut le payer rubis sur l’ongle1. En échange, en plus du prestige attaché à la fonction, les officiers perçoivent des gages, qui sont en fait l’intérêt versé sur ce prêt déguisé.

Mais en ce qui concerne le régent, à force de faire les fonds de tiroir, il n’y a plus rien à gratter, et les dettes commencent à peser lourd.

mardi 13 août 2013

La Tulipomanie

La tulipe. Tout à fait banale comme fleur. Le charme bucolique des couleurs ondulant autour de moulins à vent hollandais, la carte postale paisible quoi. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, la modeste plante déchaîna les passions et la folie spéculative dans les Pays-Bas entre 1634 et 1637 pour créer ce que beaucoup considèrent comme la première bulle financière de l’histoire.

La Hollande, avant Dave

Au 17e siècle, les Provinces-Unies (qui correspondent grosso modo aux Pays-Bas d’aujourd’hui) traversent leur Age d’Or. Débarrassés du joug espagnol, les marchands hollandais entrent dans une phase de très grande prospérité durant laquelle Amsterdam devient l’une des villes les plus riches du monde.

2012 Tulip Festival @ Agassiz, BC, Canada
Une véritable mine d'or

C’est à cette époque, pour accommoder l’afflux toujours plus grand d’habitants, que l’on décide de creuser les principaux canaux de la Venise du Nord. Ce titre est probablement doublement mérité car, là où les marchands vénitiens montraient leur supériorité au sein de la Méditerranée, les fortunes néerlandaises se construisent à l'échelle de ce Monde nouvellement découvert, en particulier grâce au  lucratif commerce des épices en provenance des Indes Néerlandaises, l’actuelle Indonésie. Ces entreprises commerciales se font grâce à leur « bras armé », la Verenigde Oostindische Compagnie, la Compagnie des Indes Orientales  hollandaise (VOC), peut-être l’entité économique la plus puissante de l'époque, avant la montée progressive de l’East India Company britannique. Pour se financer, la VOC fait preuve de créativité financière, et se forme en tant que compagnie par actions, lesquelles sont cotées sur la Bourse d'Amsterdam, la toute première en son genre !

vendredi 9 août 2013

Le caractère du phylactère

Attention saga de l’été ! Comme Economiam est un site vraiment original, on va faire comme TF11, en construisant notre propre Château des Oliviers sur fond de Terre de Lumière. De notre côté, on s’intéressera plutôt à ces épisodes invraisemblables où l'optimisme béat l'emporte sur toute notion de bon sens. Des Pays-Bas du 17e siècle jusqu'à la Floride des années 2000, la créativité humaine n'a pas de limites : attendez-vous donc à vibrer pour la fabuleuse épopée des bulles !

Bubble Gum
Encore un petit effort...
Au programme, si la douceur du climat ne perce pas les velléités actuelles, on parlera des bulles célèbres suivantes :



Le graphique ci-dessous donne un aperçu historique plus large de la capacité des hommes à s’enthousiasmer pour les futilités de ce bas monde, dont les tulipes, les trains, le shopping en ligne en passant par les marécages floridiens.

Un petit visuel, avec des bulles, compilé par Goldman Sachs

Mam’zelle Bulle

Comme le décrit l’économiste américain Robert Shiller, une bulle est un processus itératif, où une cascade de bonnes nouvelles concernant le prix d’un actif (de l’or, des actions, de l’immobilier…) s’auto-alimente des bonnes affaires du voisin, entraînant dans son sillage même les investisseurs les plus circonspects. Ce faisant, le prix de l'actif continue d'augmenter et s’éloigne progressivement de toute valeur justifiable par des explications raisonnables. Autrement dit, les prix sont remplis d’air2 ! Par la suite, tout ce château dans le ciel s'écroule parce que cette dynamique ne peut pas durer indéfiniment.

La bulle, c'est donc un état d'esprit, se convaincre que jusqu'ici tout va bien. Par exemple, en plein milieu de ce qui s’avérera être les prémices d’une crise financière d'ampleur effroyable, la Fed (et en premier lieu son président Alan Greenspan) a persisté à croire que le marché était capable de supporter un niveau de levier sans précédent grâce à l'innovation financière. On l'a vu ce n'était vraiment qu'une vue de l'esprit...

Peut-on éviter de buller ?

Mais avaient-ils vraiment tort ? Certains économistes pensent que les bulles spéculatives n'existent pas, qu'elles ont toujours en fait un fondement rationnel. Cette théorie, défendue en particulier par un autre économiste américain, Eugene Fama, repose sur le postulat des marchés efficients (efficient market hypothesis, EMH, en VO). Ses partisans affirment que toute l'information disponible est contenue dans les prix et que les investisseurs ne peuvent pas se tromper en moyenne car ceux qui placent leur argent n'importe comment sont rapidement ruinés. Selon eux, si on parle d’irrationalité, c’est parce qu’on n’a pas assez cherché, sûrement par paresse intellectuelle.

Cependant de nos jours, la plupart des économistes ne se satisfont plus de l'EMH. En effet, elle repose sur l'existence d’investisseurs plus malins que les autres, qui vont aller à contre courant, et vendre (en particulier à découvert) quand les autres achètent de façon irrationnelle. Ils font ce qui s’appelle un arbitrage. Or on commence aujourd'hui à comprendre empiriquement et théoriquement que ces investisseurs ne seront pas toujours au rendez-vous, et ce parce que comme le dit cette maxime attribuée à Keynes : "Les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne resterez solvable."

Sur le plan théorique, Robert Vishny et Andrei Shleifer montrent que la capacité d’un arbitrageur3 à aller à rebours du marché est limitée par ses possibilités de financement. Comme il n’a pas les poches infiniment profondes, il doit se restreindre, au cas où le marché continue d’être irrationnel avant de revenir vers des niveaux normaux. Cela l'empêche donc de tempérer les ardeurs des traders irrationnels. Plus encore, Dilip Abreu et Markus Brunnermeier montrent qu’il peut même à l’inverse être rationnel pour les arbitrageurs d’accompagner le mouvement, pour mieux sortir juste avant l’éclatement, participant donc à la création de la bulle plutôt que de la contenir !

Et en pratique, c’est exactement ce qu’il se passe. Apparemment, selon Brunnermeier (encore lui…), les hedge funds ont investi massivement dans les actions d’entreprises Internet lors du Dotcom boom du début des années 2000, pour les revendre juste avant l’effondrement des cours. Une stratégie extrêmement lucrative. Et gare à l'idée de vouloir apprendre au marché à être raisonnable : le désormais tristement célèbre Howie Hubler, trader de Morgan Stanley, a fait perdre 9 milliards de dollars à son employeur en pariant un peu trop tôt contre les subprimes... en 2006 ! En revanche, un pari similaire aura valu à John Paulson un profit de 4 milliards de dollars en 2008. Tout est une question de timing !

Evanescente ?

Les bulles ne laissent elles donc qu'enfer et damnation après leur passage ? Certes les projets immobiliers inoccupés et abandonnés de la Costa Del Sol ou de la banlieue de Detroit sont certainement condamnés à la ruine. Mais tout n'est pas toujours bon à jeter comme le raconte cet article du magazine The Economist. Certains projets, bien qu’emportés par leur enthousiasme, ont laissé des traces durables, comme par exemple le réseau ferroviaire anglais suivant la folie des trains (vers 1848) ou encore le statut de Sunshine state de la Floride, suivant la phénoménale expansion immobilière qui y a eu lieu dans les années 20.

Les bulles témoignent donc à double titre de la capacité des hommes à construire et à détruire, à s'extirper de leur lot quotidien ou à s'enfoncer dans la peur. On le verra, ces épisodes de frénésie collective sont peuplés de personnages hauts en couleur, de fous visionnaires mais aussi d'escrocs à la petite semaine, qui fascinent et repoussent à la fois les badauds entraînés dans leur sillage. En ce qui nous concerne, prochain arrêt sur Economiam, la Tulipomanie !



1 Ou de façon plus intéressante, on pourra s’attarder sur Classe Eco qui peuple l’été économique
2 Il faut noter que selon cette définition, il ne s’agit pas d’une arnaque car les gens sont tout à fait capables de s’enflammer par eux-mêmes. Ce qui n'empêche pas que certaines bulles aient été déclenchées par des escroqueries...
3 Désolé pour le barbarisme, mais ce mot manque en français !

mercredi 31 juillet 2013

Pendant ce temps là... (07/13)

Première édition d'une série (pour le moment ponctuelle) qui regarde ce qu'il se passe ailleurs sur la toile. Aujourd'hui, ça s'agite dans la blogosphère américaine sur les raisons de la faiblesse de l’inflation aux Etats-Unis.

Martin Feldstein, économiste de Harvard, explique dans un post récent sur Project Syndicate que la politique de Quantitative Easing (QE) de la Fed aurait dû conduire à une forte inflation et cherche à expliquer pourquoi celle-ci reste en fait obstinément faible

Son idée part d'une intuition formalisée par Milton Friedman : « L'inflation est toujours et en tous lieux un phénomène monétaire dans le sens où elle n’est et ne peut être créée que par un accroissement plus rapide de la quantité de monnaie que de la production ». En gros, trop d'argent en poche et pas assez de choses à acheter avec. Cet accroissement monétaire repose sur deux étapes qu’on simplifie ici :

1.    La banque centrale agit comme la banque des banques commerciales. Elle peut ainsi influer sur l’économie dans son ensemble en contrôlant la quantité de monnaie dans les comptes courants que ces dernières y détiennent
2.    Les banques prêtent de l’argent à leurs clients en fonction de leurs capacités de financement qui sont dépendent directement des réserves qu’elles détiennent auprès de la banque centrale. Comme elles prêtent plus qu'elles n'ont, cela démultiplie la quantité de monnaie en circulation dans l'économie.

Il faut quand même noter que le mécanisme de transmission monétaire est dans son ensemble assez mal connu. En tout cas, le QE est une façon d’agir sur la demande via la création de monnaie en utilisant le premier point. On s'attendrait donc selon cette caractérisation de l'inflation à la voir devenir galopante, vu l'ampleur du programme.

University
Harvard, le charme suranné de la Nouvelle-Angleterre
Or, ce n'est pas franchement le feu d'artifice, avec une inflation américaine qui oscille entre 1 et 2%. D'après Feldstein, la courroie de transmission est en fait cassée parce que depuis 2008 la Fed paye des intérêts sur les excédents de réserves des banques commerciales. Ces dernières auraient donc selon cette logique tout intérêt à placer leur argent sans risque auprès de la banque centrale plutôt que de le prêter dans l'économie.

Pourtant, c'est clairement du n'importe quoi comme l'explique rigoureusement ce post de Noah Smith du blog Noahpinion. En effet, Feldstein se garde bien (et c'est assez étonnant pour être souligné) de dire que le taux en question est de 0,25%. Il est donc très faible : pour donner un ordre de grandeur, le nouveau taux du livret A en vigueur dès le 1er août (et qui fait tant jaser) est cinq fois plus grand à 1,25%. Autant dire que la Fed paye des clopinettes…

L'argumentaire de Feldstein se ramène donc à cela : ce qui empêche les banques de prêter, c'est le fait de pouvoir gratter 0,25% auprès de la Fed, et que donc le choix entre soutenir ou non un projet d'investissement se joue sur un différentiel de rendement ridicule...

Une explication réaliste de l'absence d'inflation repose plutôt sur le deuxième point, en constatant simplement que les banques d'une part ont peur de prêter dans un contexte économique incertain, et que d'autre part, elle doivent se désengager de leurs investissements précédents et renflouer leurs pertes avant de pouvoir repartir de l'avant. 

En résumé, il ne faut pas tout prendre pour argent comptant, Harvard ou pas !

PS : Ce taux d'intérêt, qui répond au doux nom de Interest On Excess Reserves (IOER) est potentiellement quand m
ême une variable importante, mais pour le financement bancaire et non pour l'inflation. On s'y intéressera dans un autre post en plongeant dans les méandres de l'interaction entre les money markets (un marché à plusieurs millions de milliards de dollars qui est au cœur de la crise) et les banques centrales.

lundi 29 juillet 2013

Japon (II) - Pas de senzu pour les Gaijin

On l'a vu dans le post précédent, le Japon est en plein chambardement économique. Même s'il est encore un peu tôt pour savoir si ces mesures radicales porteront leurs fruits, ces bouleversements chez un des titans de l'économie mondiale auront forcément des répercussions chez nous. Mais au-delà des conséquences, espérons-le positives pour l'Europe et la France, quelles sont les leçons à en tirer pour nous sortir de notre propre ornière ?

La nuit des morts-vivants

Le cas du Japon est clairement intéressant pour l’Europe et la France, car c’est aussi une terre de traditions, avec un modèle social fort, faisant face à une économie mondialisée et au vieillissement général de sa population.

Mais au-delà de ces similitudes sociologiques, l’aspect économique est aussi très pertinent : le déclencheur de la crise à la fois au Japon dans les années 90 et en Europe dans les années 2000 a été un choc financier violent et soudain. Celui-ci a poussé les emprunteurs à réduire leur dette tous en même temps. Or si tout le monde cherche la sortie en même temps, tout le monde n'arrivera pas à franchir le pas de la porte simultanément, surtout qu'en parallèle les épargnants souffrent de la baisse de la valeur de leurs actifs. La conséquence directe de tout ceci est une réduction de la demande et de l'activité économique, qui se traduisent ensuite en un surendettement chronique auquel il est difficile d’échapper.

jumping chinese vampire 5
Grrr, je suis une banque zombie japonaise. Grrr...
Ce point inquiète les économistes surtout au travers de son impact sur le secteur bancaire au vu de l'histoire récente du Japon. Les banques ont en général deux choix face à l'endettement de leurs clients qui sont de moins en moins en mesure de rembourser leurs emprunts : soit elles reconnaissent immédiatement une perte en se rendant à l'évidence qu'elles ont peu de chances de revoir leur argent, soit elles gardent le prêt sur leurs comptes en attendant des jours meilleurs. Pour les banques japonaises le choix est clair : l'evergreening, le reverdissement permanent, est un procédé par lequel elles reprêtent aux clients défaillants pour les maintenir à flot de façon artificielle. Ceci a en particulier pour conséquence de garder en activité un certains nombres d'entreprises qui sont en pratique en faillite et qui sont surnommées "zombies".