L’économie n’est pas qu’un débat d’experts, c’est aussi une science expérimentale. La recherche de l’Homo Economicus a mené certains chercheurs dans des contrées lointaines, à la rencontre de sociétés primitives, pour leur poser des ultimatums !
Un petit jeu…
Gaston et les Papous (à cliquer) |
La réponse économique
classique à ce problème est que, de façon froidement rationnelle, le proposant
devrait offrir la plus petite somme possible à son interlocuteur (un centime
quoi). Car oui, avoir de l’argent, c’est mieux que de ne pas en avoir.
Ce jeu a été
soumis à de nombreux groupes dans les pays industrialisés (dans lesquels on
compte aussi bien les pays occidentaux que l’Indonésie ou la Corée). Ces expériences
ont toujours produit des résultats similaires: la majorité des offres
tendent vers un partage équitable entre 40 et 50% (à comparer à ce que vous
avez répondu à la question plus haut…), et les rares offres basses, en-dessous
de 20%, sont très souvent rejetées. On voit donc que contrairement à l'intuition économique, une très
forte proportion de personnes préfèrent punir leur vis-à-vis plutôt que de prendre
l’argent. Ceci résulte probablement d’une certaine notion d’équité, que l’on
retrouve aussi chez le proposant qui, lui, s’autocensure!
Encore plus impressionnant, ce comportement a été observé indépendemment du sexe, de la religion ou
de la nationalité des participants, ce qui pouvait donc laisser concevoir
l’existence d’une notion innée de justice et d’équité.
Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras
Cependant, les économistes
expérimentaux ont décidé d’aller plus loin et de voyager un peu (la version courte de leurs pérégrinations ici, ou longue là). Un voyage qui
a mené une dizaine d’équipes en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Timor-Leste, en
Mongolie, en Equateur, au Kazakhstan et j’en passe, à la rencontre de sociétés
que l’on pourrait qualifier de primitives, en ce sens qu’elles ont été peu influencées
par l’industrialisation et sont restées proches de leur mode de vie
traditionnel. Certaines sont composées de chasseurs-cueilleurs ou de bergers
nomades quand d’autres vivent de la culture sur brûlis. Bref charrue à bœufs et
médecine chamanique plutôt que Hummer et IRM.
Les différentes sociétés primitives étudiées |
Et là, surprise,
ces études ont produit des résultats souvent très différents de ce qui avait pu
être observé jusque là (qui n’avait donc rien d’universel). Aux deux extrêmes on
trouve d’une part les Machiguenga du Pérou, et d’autre part les Au et Gnau de
Papouasie (oui, oui, ils ont des noms rigolos, ce sont des papous après tout).
Les premiers font systématiquement des offres plus basses que ce qu’on observe
habituellement, et qui sont généralement acceptées, tandis que les seconds font
des offres beaucoup plus variées (même si en moyenne elles tournent aussi
autour de 50%), avec même des partages hyper-généreux (du style je garde 10%,
je t’en donne 90%). Pour couronner le tout, ces offres au-dessus de la moyenne
sont généralement rejetées! Bref, des résultats qui remettent tout en question.
Pourquoi une
telle différence dans ces sociétés? L’explication est semble-t-il à trouver
dans leurs modes de vie, qui se reflètent dans leurs choix. Les Machiguenga
sont par exemple des chasseurs/cueilleurs, avec peu d’échanges commerciaux: ainsi
leur comportement est cohérent avec la notion de prendre ce qu’on a. Quant aux
Papous, ce sont des sociétés où les tributs sont très importants: un peu comme
au Japon, accepter un présent est comme une dette, un fardeau dont on ne veut
pas toujours s’encombrer. Et pour résumer, il semblerait que ce soit pour nous
aussi un reflet de notre mode d’organisation, société d’échange et de cohabitation.
Si vous êtes
arrivés à la fin de cet article, notez que l’on vient de parler de théorie économique,
et même pire, de théorie des jeux. Mais j’espère que ça reste de l’économie
amusante!
4 commentaires:
Donc le bagage culturel est très important dans ce jeu: tout ne se résume pas à un simple numéraire !
C'est un bel exemple des limites de la notion d'utilité Economique, si importante en micro-économie.
Peut être peut on mieux expliquer ce résultat en changeant de numéraire ("donner un prix" au fait de se comporter équitablement) ?
Pour ce qui est d'integrer ca dans la fonction d'utilité, je t'avoue que je ne sais pas trop.
Quant a ton deuxieme point, il a une application directe en pricing: voir le 2e paragraphe de ce lien: dealbreaker.com/2012/12/where-did-deutsche-bank-get-the-losses-that-it-ignored-until-they-went-away/
Hello.. Etant donné mon modeste bagage en économie, je me suis contentée de me piquer au jeu.
Evidemment tout dépend du besoin que ressent l’interlocuteur, et de son bagage en matière de fierté personnelle. Lui proposer trop ou trop peu reviendrait à l’insulter ( = pour qui me prend-elle ? Un usurier / un miséreux ?) Et comme me disait quelqu’un il n’y a pas si longtemps, une négociation aboutit
quand chacun a le sentiment d’y trouver son compte… Donc je crois que je
proposerais 60 à mon partenaire et 40 pour moi... L'idée étant que l'autre y
voie un incitatif courtois et un bénéfice valant le temps qu’il passe à la
transaction, tandis que de mon côté j’obtiens presque la moitié, ce que j’aurais
pu viser si j’avais trouvé les 100€ par terre avec une amie, par exemple…
Et toi ?
Je crois que l'analogie avec le billet de €100 trouvé par terre est tres bonne, surtout si on suppose (logiquement) qu'une personne met la main sur le magot avant l'autre. Par contre je te trouve drolement genereuse, dans la mesure ou la transaction n'est pas repetee: si la situation ne risque pas de se reproduire, j'aurais tendance a dire 50-50, comme ca on est quitte et on se separe bons amis!
J'insiste sur le caractere "one-off" de la chose avec un exemple: une certaine personne de mon entourage, suspectant ma rationalité, m'a proposé 90 (pour elle) et 10 pour moi. Mais la encore, c'est biaisé: je savais qu'elle m'en voudrait si je faisait capoter l'affaire, donc j'ai dit oui...
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