Une nouvelle fermeture d’usine dans une zone sinistrée
vient agiter l’actualité économique. Autour de la disparition de l’usine
Goodyear d’Amiens Nord, on parle pêle-mêle de licenciements boursiers, de
patrons voyous et de législation, pour interdire tout licenciement à une
entreprise qui verse des dividendes ou même simplement qui serait bénéficiaire.
La partie adverse s’insurge, dit qu'il faut amputer avant que la gangrène ne se
propage et qu’une entreprise qui ne licencie pas aujourd’hui est une entreprise
qui disparaîtra demain. Entre émotion et froide rationalité économique, où se
trouve le juste milieu?
Pas une si Bonne Année
Flickr (c) Matt Hartsburg |
Le cas de l’usine Goodyear s’inscrit plus largement dans le marasme actuel de la filière automobile française, touchée de plein fouet par la crise: on vend de moins en moins de voitures, Peugeot est quasiment en faillite et il semblerait que les équipementiers automobiles (Michelin, Valeo et consorts) ne doivent leur salut qu’à leur internationalisation.
Il en résulte une surcapacité de production, que l’on le perçoit au travers d’un article du Monde consacré à Goodyear : « Pour les ouvriers de la filière tourisme, parfois il n'y a que deux heures de travail par jour. Alors il faut bien s’occuper : il y a la machine à café, l’entretien des machines, et beaucoup de débats sur les suites à donner à la lutte. »
Or, d’un point de vue froidement économique, une entreprise a besoin de conserver ses marges pour continuer à exister et doit donc d'eliminer cette surcapacité si elle persiste. On essaie parfois de présenter ceci sous un jour moralement acceptable, en précisant que la fermeture préserve les capacités d'investissement futures de l’entreprise et assure sa survie. Mais si les projets qui n’ont pas de viabilité économique? Réinvestir soit, mais pour quoi faire? A ce moment là, il vaut en théorie sûrement mieux que les propriétaires reprennent leur argent, favorisant soit de la consommation, soit de l’investissement dans des secteurs d’avenir. C’est ce principe de l’argent qui dort qui s’applique aux versements de dividendes et aux rachats d’action.
De plus, je crois qu'il est important de garder à l'esprit qui va toucher cet argent. La dichotomie traditionelle entre salariés et actionnaires est de plus en plus difficile à prendre au sérieux, en particulier car les actions de nombre de grands groupes cotés sont possédées par
des fonds de pension. En d’autres termes, les dividendes versés peuvent servir à
payer les retraites de milliers de personnes à travers le monde, dont par
exemple des fonctionnaires américains ou des enseignants canadiens. Pas vraiment les nantis que l'on présente volontiers!1
Schumpeter contre les Raisins de la colère
On vient de parler de destruction créatrice, de réallocation du capital à des fins plus productives, mais que deviennent les salariés dans cette affaire? Prenons l’exemple de la fermeture de l’usine Renault à Vilvoorde en 1997. Très tôt, on s’intéresse au sort des ouvriers licenciés, et l’on se rend compte que deux ans après, seuls 5% des employés n’ont pas réussi à se recaser (que ça soit sous forme de préretraite ou de nouvel emploi). Et 15 ans plus tard, Vilvoorde reste une banlieue dynamique et prospère de Bruxelles avec une réorientation dans les transports et l’implantation de nombreuses PME. Ceci laisse à penser que la force de travail a pu être réallouée à des fins plus productives (avec des salaires plus élevés à la clé).Capital (humain) contre capital
On voit donc que si de façon globale la force de travail se redéploie, les cas particuliers, eux, n’ont pas nécessairement une vie facile. Ailleurs, Le Monde explique que « [l]a plupart des ouvriers de Goodyear n'ont été formés qu'à un seul métier, et la suppression de ce dernier va les obliger à se former à de nouvelles techniques. Difficile reconversion pour des personnes qui ont souvent plus de dix ans d’ancienneté dans leur usine. » Effectivement, face à un monde en constante évolution, il faut bouger, s'adapter, mais le processus est long, et n'est pas sans souffrance...
C’est à ce stade à
mon avis que les entreprises doivent prendre leur part de responsabilité (si nécessaire par le biais de la législation). Je persiste à
penser que la loi ne doit pas empêcher les licenciements car c’est la recette assurée
pour un pays qui stagne, qui ne renouvelle ni ses compétences, ni ses capacités
de production. Par contre elle peut contraindre les entreprises qui font des bénéfices
ou distribuent des dividendes à assumer une partie du coût social de la décision
de fermeture. Car on le voit, les aides et les incitations sont socialisées (i.e.
payées par le contribuable) mais les profits sont privatisés. Certes, on rétorquera que ces
entreprises payent leur part en impôts, mais quand on voit
que The Economist titre cette semaine
sur les stratégies d’évitement fiscal des
grandes multinationales,
on est en droit de se demander si c’est bien le cas…
Financer ainsi un capital humain qui doit être de plus en plus flexible pour ne pas devenir obsolète pourrait permettre de prendre en main son destin, pour arrêter de se lamenter sur le déclin…
1 Ce raisonnement ne tient volontairement
pas compte des manipulations court-termistes du cours de Bourse par effet
d’annonce qui, si elles existent indéniablement, s’éliminent d’elles-mêmes par
leur absence de viabilité économique.
2 commentaires:
Bonjour,
Certains économistes vont dire que la cause de ces destructions réside
principalement dans les gains de productivité (D. Cohen par exemple). Comme
nous sommes plus efficaces, plus structurés et plus mécanisés, nous détruisons "naturellement" des emplois.
Pour d’autres, comme J. Sapir, ce sont les gains de
productivité chez les émergents qui ont aspiré des pans de nos
activités à travers leurs montées en gamme et les délocalisations
directes/indirectes.
Sur les destructions même, on met généralement en avant le transfert d’emploi entre
secteurs qui devrait en résulter. Ainsi la baisse d’emploi ne serait qu’à court terme et local alors
qu’à long terme cela entraînerait une hausse de l’emploi en moyenne.
Tout cela relève bien sûr de la théorie car cela les hommes ne sont pas
des produits et ne sont pas aussi mobiles que des pions. De la même manière,
ils ne peuvent pas se reconvertir en un claquement de doigt ou tous devenir des ingénieurs.
Cette théorie implique également que les gains de
productivité soient rationnellement utilisés dans l’intérêt général (même
indirectement) et le long terme, ce qui n’est pas forcément le cas.
Au delà de l'aspect théorique des destructions d'emploi, des licenciements boursiers ou de la responsabilité sociale des entreprises (je sors ma casquette philosophe), je pense que le gros problème du marché du travail est que nous avons avalisé que certains type de
travail était inutile et dégradant. Ce sont ces mêmes emplois qui sont soit à être pourvu, soit qui ont déjà disparu. Pourtant c'est (et c'était) du travail!
Pire: c'est maintenant le client qui effectue gratuitement ce travail dit ingrat.
Considérer ou nous faire considérer le "petit"
travail, les travaux agricoles et le travail en industrie comme inutile, dégradant ou salissant dans nos valeurs, cela a été le départ de la destruction
de ce lien et peut-être la disparition du travail tel que nous le connaissons.
Ce
changement en cours et les inégalités qu’elles provoquent aura des
conséquences directes sur la consommation et notre société. Paul Jorion a récemment déclaré sur un plateau de télévision que le
travail disparaissait. Et c’est peut-être vrai…ou du moins, le travail tel qu'elle nous le connaissons.
Je suis tout a fait d'accord avec vous que les hommes ne sont pas des pions. Ils ont des aspirations, des envies, et ce que je propose, c'est d'accompagner les transitions par le biais de la formation, ce qui suppose aussi de se prendre en main.
Concernant le travail, vous soulevez un point interessant auquel je reflechissais recemment a ceci a la suite de la lecture d'un petit essai de Keynes (Possibilités Economiques pour nos petits enfants http://www.econ.yale.edu/smith/econ116a/keynes1.pdf), ou il se projete 100 ans en avant, et suppose que nous produirons suffisamment de richesse (grace a l'accroissement constant de la productivite) pour pouvoir ne travailler que 15h par semaine (histoire de s'occuper!). Evidemment, 100 ans pour lui, c'est 15 ans pour nous et on n'y est pas encore.
Cependant, en premiere approximation, je crois que votre constatation se rapproche de cette situation. On n'a jamais produit autant de richesee, et cepedant, les US par exemple, n'ont jamais ete aussi inegaux. Ceci pose la question de la redistribution de la richesse. Pour donner un exemple de ce a quoi je pense, comment remunerer les gens dans une societe ou tout serait effectué par des robots? Effectivement, il y aurait des changements fondamentaux sur la consommation et notre societe.
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