Mort aux cons, tel est le titre du roman de Carl Aderhold, où le personnage principal, dans sa quête de libérer le monde des cons, zigouille à tour de bras voisins fouineurs et collègues imbéciles. Le livre ne manque pas d’humour mais au chapitre XXIV, c’est un économiste (tendance libérale) qui, fissa, est expédié ad patres. Personnellement étonné, il est pourtant clair dans l’esprit de l’assassin qu’il est en présence de l’une de ses cibles favorites. Ce qui nous fait nous poser la question: les économistes sont-ils des cons?
A la recherche de l’économiste perdu
Une victime potentielle? (c) El Pais |
On peut donc croire
aux manigances des «élites» face à la «plèbe» (comme Fréderic Lordon) ou plus prosaïquement, voir là-dedans
l’expert qui s’abrite derrière son jargon pour ressortir des poncifs dont il
ignore lui-même l’origine. Toujours est-il qu’on perçoit souvent l’économiste
comme celui qui assène son propos, visant à enfumer en même
temps qu’à endoctriner, avec souvent l’impression d’être déconnecté de la réalité
de tous les jours.
Et effectivement les chiffres confirment que les économistes envisagent le monde différemment de leurs
concitoyens: une étude rapportée par The Economist, concernant les Etats-Unis, montre qu’il y a souvent un gouffre entre ce qui est tenu pour acquis par les uns et par les
autres, en particulier sur les solutions à apporter à la crise ou encore la
taxe carbone.
Question subsidiaire : les économistes sont-ils des vendus ?
Comme en témoignent
les récentes levées de bouclier concernant les «économistes au service
de Goldman Sachs», la méfiance est intense vis-à-vis de la profession au
sujet des intérêts qu’elle défend vraiment. Au-delà des affiliations (dissimulées
ou non), il y a un contexte plus large concernant le crédit à accorder à la parole
des spécialistes. Si on considère que les plus grandes universités ne servent
qu’à produire des menteurs (après tout, ces économistes à la solde de Goldman
Sachs sont aussi très souvent passés par le MIT),
ne devrait-on pas plutôt faire confiance aux voix nouvelles qui sortent des
sentiers battus et dont l’inexpérience garantit la pureté? Pour ma part, voyant
la pertinence des sorties médiatiques de prétendus experts en mathématiques financières, je crains que non. Les qualifications ne
sont pas qu’un apparat, un certificat de reproduction sociale ou un artifice de
domination capitalistique, mais bien un signe de compétence.
Il n'empêche que par leurs manquements, réels ou perçus, les économistes laissent la voie
libre aux charlatans en tous genres, particulièrement quand il s’agit de macroéconomie. En effet, celle-ci est par essence difficile à appréhender, parce qu’elle concerne les conséquences
d’actions de millions d’individus faisant face à leurs contraintes et structures
d’incitations propres. Et quand bien même l’économie en tant que discipline est
capable d’expliquer un très grand nombre de phénomènes, il reste encore
beaucoup de choses à comprendre même pour les spécialistes. Alors dans un monde
où il est impossible de maîtriser tous les sujets, tous les savoirs, qu’est ce
qui rend l’expert crédible? Ce sont bien souvent les mots ronflants, l’ajout de
complexité inutile, et surtout le costard cravate.
Un récent exemple portugais est tout particulièrement édifiant.
Avec une dégaine d’universitaire, un CV long comme le bras et des commentaires
bien sentis, Artur Baptista da Silva (en photo ci-dessus) est apparu dans les grands médias de son pays pour
expliquer aux Portugais les causes de leurs malheurs et exposer ses solutions. Nombre de gens ont été séduits par cet expert plein de fougue
dont les propos résonnaient avec leurs impressions de tous les jours. Sauf que
cet homme n'est en fait qu'un escroc à la petite semaine, plusieurs fois emprisonné et particulièrement
créatif sur son parcours professionnel.
Au vu de cet
exemple, comment faire alors pour éviter une situation où toute parole est
bonne à prendre, en particulier en France, où certains des principaux
intervenants médiatiques sont simplement formés sur le tas ? La persistance
du vote extrémiste lors des élections récentes laisse entrevoir que ce phénomène
constitue alors un véritable danger démocratique.
Qu’on lui coupe la chique
Il faut donc clairement se remettre en question,
tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, s’il faut laisser
tranquille les débats clos depuis longtemps, il faut donner la possibilité de
discuter le plus possible des sujets ouverts (régulation bancaire, rôle de la
finance dans l’économie etc.). Ceci passera certainement par l’intermédiaire de
l’internet, comme en témoigne la dynamique blogosphère américaine, avec en tête
de gondole Paul Krugman et son million de followers sur Twitter. En France, sauf
erreur de ma part, on attend encore l’émergence d’un polémiste crédible
touchant un aussi large public.
Sur la forme
maintenant, un peu d’humilité ne peut pas faire de mal. Le manque de
transparence qu’on évoquait plus haut a suscité une salutaire prise de
conscience, avec une pétition récente de la profession réclamant la création d’une charte éthique. Mais
surtout il faut rendre la forme plus accessible, plus claire, et désemberlificoter
le propos. Car c’est bien là le nœud du problème : sortir du cercle
restreint et convenu des gens qui se comprennent pour toucher un large public.
Et enfin, comme on l’a dit dans le tout premier post d’Economiam, la solution passe par aussi l’éducation,
pour permettre aux gens de discerner le bon grain de l’ivraie et aux citoyens
de posséder un bagage suffisant pour décider en leur âme et conscience. Tant
que l’économie sera un sujet exclu de la plupart des cursus en France, le débat
démocratique sera étouffé. Elle ne pourra rester qu’une querelle d’expert à laquelle
les extérieurs ne pourront assister qu’impuissants avant, légitimement, de
s’insurger…
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1 Les morceaux tronqués concernent le
profit des entreprises, que je coupe pour ne pas trop alourdir l’article.