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samedi 2 mars 2013

Tobin or not Tobin


Hype et sexy sur le papier, technocratique dans son incarnation européenne et compliquée en pratique, la taxe Tobin ou taxe sur les transactions financière (TTF) devrait voir le jour de façon crédible au sein d’un bloc de 11 pays de l’Union européenne. Mais alors qu’on pensait avoir un percepteur des impôts un peu gris dans son imper délavé, on nous réserve en fait un thriller de la fiscalité. Alors la TTF, panacée ou remède pire que le mal?

Parlons argent

Onze pays de l’UE, dont la France et l’Allemagne, ont décidé de mettre en place un système visant à prélever un impôt sur les transactions financières, s’élevant à 0,1% sur les actions et 0,01% sur le notionnel des produits dérivés. Cela peut sembler peu, mais mis bout à bout dans un monde où ces notionnels se comptent en milliers de milliards1, ça commence faire des sous.

Le but déclaré est double, lever des fonds (on table sur €30 milliards) et modifier les comportements des acteurs du monde de la finance. Comme le dit la Commission européenne, cette taxe fait partie «des mesures appropriées pour décourager les transactions financières qui ne contribuent pas à l'efficacité des marchés financiers ni à l'économie réelle.» En d’autres termes, on veut réduire la volatilité et décourager les mouvements spéculatifs de très court terme. Un vaste projet et une entreprise louable, mais l’économie réelle, c’est quoi au juste ? En exemptant de la taxe les particuliers, les entreprises et les fonds de pension, l’UE donne une ébauche de réponse, mais si on se tourne vers l’entrée en bourse de Facebook avec son milliard de profils mais des sources de revenus incertaines, parle-t-on d’économie réelle ou de bulle spéculative?

Sacré Robin des Bois

Le concept de TTF n’en est pas à son coup d’essai. Comme l’aiment à le rappeler les commentateurs, cette taxe a eu par le passé nombre de soutiens prestigieux. Ce n’est pas le PSG de l’économie mais presque : on y retrouve Keynes (dans le rôle de David Beckham) et une poignée de prix Nobel, avec Stiglitz et Tobin, dont le nom est irrémédiablement associé à la taxe (pour zlataner2 la finance). Avec un tel arsenal intellectuel, on comprend mieux pourquoi le projet a de nombreux partisans.

Cependant, comme le répètent à l’envi ses opposants, les expériences grandeur nature ont jusqu'à présent été peu concluantes voire carrément néfastes. L’exemple désastreux de la Suède dans les années 80 est particulièrement pertinent: le prélèvement de 2% sur les actions cotés dans le pays a eu pour effet de chasser, de façon plus ou moins définitive, entre 30 et 50% du volume de trading, qui s’est déplacé à Londres, sans amélioration de la volatilité sur la bourse de Stockholm. Ceci montre bien les difficultés de l’application de la taxe, en particulier le choix de son niveau et les possibilités d’évasion face à une application unilatérale. Quant à la taxe française mise en place à l’été 2012, il s’agit tout bonnement d’une vaste blague: elle s’applique de façon arbitraire aux actions des entreprises ayant une capitalisation supérieure à 1 milliard d’euros , les courtiers en sont exempts et elle peut être contournée de façon très simple avec des dérivés facilement disponibles pour les particuliers!

Pourtant l’idée avait clairement repris du poil de la bête suite à la crise financière, avec le projet du G20 lancé en 2009 visant explicitement à faire payer le système financier pour le renflouement de 2008, ou les coups médiatiques de l’association Robin Hood Tax pendant la campagne législative de 2010 au Royaume-Uni. Il fut un temps question d’utiliser l’argent pour lutter contre la faim dans le monde et financer la recherche contre le SIDA. On le voit maintenant, les revenus vont surtout permettre aux Etats de se renflouer, avec un zeste de justice sociale et de rationalité économique. Ceci dit, il est fort probable que les revenus effectifs seront bien en deçà des montants annoncés,  comme c’est déjà le cas pour la taxe française, parce qu’acheteurs comme vendeurs vont bien sûr chercher à minimiser les effets négatifs.

Alors quoi ?

Disons-le sans détour, ne pas se jeter à l'eau parce que les autres nageurs la trouvent trop froide, ce n'est pas un bon argument. Il faut déterminer le bien-fondé de la TTF puis chercher à l’appliquer de la façon la plus efficace possible. On le verra ci-dessous, les experts s'étripent sur son impact potentiel (avec le FMI qui contredit la banque centrale du Canada). En revanche, il est clair que les dispositions prises pour éviter l'érosion de la base sont dignes des guerres napoléoniennes, puisqu’il va s’agir de taxer toutes transactions ayant un rapport des près ou de loin avec les 11 pays participants. Ce qui définit évidemment un horizon très large, touchant bien sûr les banques européennes mais aussi toutes sortes d’activités économiques qui n’ont pas lieu sur le territoire3. On le comprend, le point important ici est donc l’extra-territorialité, car ainsi les banques qui ne sont pas européennes mais qui y ont du business sont concernées, d’où une levée de bouclier des Américains, des Britanniques et même des Luxembourgeois. Il y a donc un coût politique à la manœuvre, car il va y avoir un peu de diplomatie à faire avec les pays qui ont des grands centres financiers…

Revenons au bien-fondé de la taxe: il faut distinguer la volatilité de court terme, c’est-à-dire les variations induites par des mouvements de marché indépendants des fondamentaux, de la formation de bulle spéculatives. Concernant la première, comme ni les modèles théoriques ni les études empiriques ne sont incapables de trancher sur l’impact positif ou négatif d’une TTF, il est difficile de conclure, surtout que c’est la première fois qu'on l'applique à cette échelle. Par ailleurs, l’intuition économique laisse à penser qu'elle ne serait pas très efficace sur le second point, comme en témoigne le marché immobilier, où, malgré des frictions importantes (dont des taxes élevées sur les transactions), les bulles continuent et continueront de se former.

De l’autre côté, l’objection la plus souvent soulevée concerne l’impact sur la liquidité et par conséquent les difficultés accrues de la formation de capital productif. Pourtant, comme le rappelle le New York Times, la proposition actuelle est marginale par rapport aux imperfections qu'on pouvait observer avant 2001, alors que les années 90 ont été une période de développement et d'innovation intense dans les marchés financiers. Mais au-delà, l’argument le plus fort contre la TTF est simplement qu’elle va toucher toutes les transactions, bénéfiques ou non. On va donc réduire les activités nuisibles mais aussi les activités productives sans discernement, avec un effet net qui n’est pas clair.

On voit donc que les arguments dans un sens et dans l’autre ne permettent pas de trancher catégoriquement. Pourtant, il y a une chose sur laquelle on peut se mettre d'accord, c'est qu'il faut modfier le système et je crois que ce type de taxe peut fonctionner en l’appliquant de façon uniforme et globale. La participation des plus gros membres de la zone euro est donc un pas décisif, car il s’agit d’un marché financier développé, qu’il sera difficile de contourner comme ce fut le cas pour la Suède. Et au vu des commentaires dans différents medias anglo-saxons (dont le NYT, le FT et le Guardian), il existe, en dehors des cercles financiers, une certaine attente dans le monde pour une mise en application généralisée de cette mesure. Il s’agit donc d’une expérience, dont le succès devra cependant être mesuré selon des critères préalablement définis, car ses coûts de mise en œuvre, à la fois techniques et diplomatiques, ne sont pas nuls: si l’on s’aperçoit que le jeu n’en vaut pas la chandelle, il faudra mettre la taxe Tobin au rancart une bonne fois pour toute…

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Pour en savoir plus:
  • La page de la Commission européenne sur la taxe ainsi que ses questions-réponses.Par contre, on ne peut pas féliciter l’Union Européenne pour son travail d’information démocratique sur le sujet : l’étude d’impact n’est disponible qu’en anglais, tout comme la présentation accompagnant le communiqué. Il faut noter que celle-ci est d’une laideur repoussante, on dirait presque qu’elle a été conçue pour ne pas être lue…
  •  Les études académiques : FMI et Banquedu Canada

NB : Les opinions exprimées dans cet article sont purement les miennes.


1 Le Robert 2012 m’apprend qu’on peut appeler ça des billions en bon francais. Par ailleurs, la valeur de la transaction est souvent beaucoup plus faible que les notionnels, donc la taxe n'est pas proportionelle au gain potentiel.
2 Pour ceux qui ne connaissent pas, une explication ici.
3 Dans l’exemple donné par l’Union européenne, si un intermédiaire financier chinois vend un dérivé à une entreprise chinoise dans le cadre des activités de celle-ci en Allemagne, la transaction est sujette à la taxe. Maintenant si une entreprise allemande passe par un intermédiaire chinois pour se couvrir sur les fluctuations des matières premières pour l’approvisionnement de son usine chinoise, la taxe s’applique là aussi !

4 commentaires:

François Cocquemas a dit…

Il y a aussi ce papier sur l'expérience française par des chercheurs de la BCE : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2215788

En résumé, l'effet sur la qualité du marché n'est pas évident à trouver (à ce niveau de taxe).

Economiam a dit…

Merci pour ce
papier, l'étude sur le HFT est particulierement intéressante car il s'agit de la
premiere experience de ce genre sur ce type de marché. Malgré tout, la portee
des conclusions a partir de la taxe francaise est potentiellement limitée,
car celle-ci exclut les market makers, qui constituent un gros segment des
HFT... On verra bien ce que ca donne a l'echelle europeenne!

Pierre Laffitte a dit…

Pour en avoir plus sur le HFT, je recommande ce papier par la bourse Allemande Eurex:
http://www.eurexchange.com/blob/exchange-en/3150-432410/432416/3/data/HFT_presentation_survey.pdf

En deux mots, le HFT est une technologie et non pas une stratégie. Les stratégies employés par les traders sur les marchés actuellement sont les mêmes que celle employés par les traders dans la corbeille il y a 30 ans.

Au sujet de la TTF:

En tant que personne concernée par cette taxe, mon avis est probablement biaisé mais comme j'ai aussi la chance de savoir pas mal de choses concretes sur le fonctionnement microscope des principaux marchés financiers, je me permets de l'exprimer.

Dans tous ces débats sur la TTF, on mélange souvent deux choses : le rôle théorique des bourses dans notre système capitalistique et la réalité de la mise en application.
Je ne suis pas spécialiste du "pourquoi" des marchés financiers mais je peux témoigner du "comment".

A ce sujet, mis à part quelques marchés de devises et certains détails des marchés actions américains, les bourses sont justes, dans le sens où tous les nouveaux entrants seront soumis aux mêmes règles et auront les mêmes moyens d'agir que ses concurrents. Les pratiques illégales souvent citées par les médias ne sont pas monnaie courante heureusement et je suis convaincu que la qualité des marchés n'a jamais été meilleure.


Aussi, je pense que l'introduction d'une TTF changera les règles du jeu pour tous le monde -changera peut être même l'éco-systeme qui fait l'équilibre et la qualité des bourses actuelles - mais je doute beaucoup que la TTF rendra les marchés financiers plus transparents ni qu'elle apporte une solution aux problèmes de notre système financier que tout le monde pointent du doigt.

Economiam a dit…

Salut,



Juste pour clarifier, je n'identifie pas le HFT avec du bruit. En particulier, le market making
HFT n'a rien a voir, j'ai l'impression, avec du court termisme.




Par contre, les
investisseurs qui ont des horizons tres courts de detention d'actif seront
penalisés en cout de transaction, et une TTF empecherait d'etre rentables
certaines trades de hedge fund sur des marges tres tight et qui s'apparentent
plus a du pari.



Quand tu dis que tu
ne penses pas que ca va resoudre les problemes, c'est possible. Le papier de la
BCE presente le probleme en terme de liquidité marginale: quelle est la valeur
(pour la societe), d'un increment donné de liquidité? Pour repondre a cette
question, meme si ce n'est pas econometrique j'en conviens, je trouve les
arguments concernant les marges de brokerage et les cotations en 1/16 tres
convaincants: au debut des annees 2000, la provision de liquidité etait
suffisante pour permettre a la finance de remplir son role, cad d'optimiser
l'allocation de l'epargne pour les
investissements.



Par ailleurs, il me
semble avoir lu que les exchanges eux memes pensaient floorer la latency,
surtout pour des raisons reputationelles si j'ai bien compris. Ceci semblerait
indiquer que le cout marginal de la liquidité serait meme
negatif?

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