Trop c’est trop, le Japon stagne depuis trop longtemps, il
va falloir agir. Shinzo Abe, le premier ministre japonais, a pris cette
année le problème à bras le corps, en tirant ce qu’il appelle ses trois
flèches : une politique monétaire vraiment offensive, un plan de relance
massif et des reformes structurelles en veux-tu en voilà. Avec un plan
de cette envergure, on fait vraiment un saut dans l’inconnu au pays du
Soleil Levant : dans ce premier post, c'est Banzai sur la crise
économique !
Réveiller Godzilla
Le Japon retrouve le sourire - (c) BeboFlickr |
Au sortir des années 80, le Japon est LA nation en pleine
bourre économiquement. Son industrie électronique est alors à la pointe,
ses voitures font de la concurrence (parfois déloyale) aux
constructeurs occidentaux les mieux enracinés et sa pop-culture prend le
monde d’assaut. Par ailleurs, la bourse de Tokyo atteint des sommets
stratosphériques, et le terrain sur lequel est bâti le Palais Impérial à
Tokyo est, pendant un temps, le lopin le plus cher du monde. Bref, le
décor est planté pour une bulle d’ampleur colossale qui n'a pas manqué
d'éclater. En conséquence, depuis vingt ans, le pays souffre d’une
croissance anémique, d’une déflation persistante, renforcées par le vieillissement de
sa force de travail. Ce que les économistes anglo-saxons ont fini par
nommer la Lost Decade (la Décennie Gâchée) au début des années 2000
commence à sérieusement durer.
Les trois formules du professeur Satō
Intervient Shinzo Abe, premier ministre japonais (pour la seconde fois) en 2013. Sa plateforme pour se faire élire ? La promesse de ramener la croissance au Japon, rien que ça. Pour y arriver, il propose d’attaquer le problème sur trois fronts, qu’il appelle ses trois flèches, car comme le dit la légende traditionnelle japonaise, si une flèche rompt facilement, trois flèches mises ensemble ne peuvent être brisées. Comme il ne lésine pas sur la communication, ses politiques reçoivent très vite le surnom « Abenomics ». Et vu qu’il s’agit en particulier de jouer sur la psyché du grand public, ça part plutôt pas mal.
La première flèche est la politique monétaire. En nommant
Haruhiko Kuroda à la tête de la banque centrale du Japon (BoJ), Abe
promet de rompre avec les frileuses politiques monétaires du passé.
Kuroda, lui, a frappé fort dès ses débuts à tel point que certains
commentateurs parlent même d’une BoJ qui atomise le marché des
obligations japonaises, sur une échelle jamais vue dans l’histoire des
banques centrales. L’objectif premier est de créer de l’inflation pour
pousser les gens et les entreprises à ouvrir leur portemonnaie. Car, net
d’une inflation négative, les taux d’intérêt (réels) sont positifs1,
ce qui fait que depuis vingt ans les Japonais ont intérêt à laisser leur
argent sur leur compte courant plutôt que de le dépenser ou de
l'investir.
La deuxième flèche est une politique de relance à hauteur
de 90 milliards d’euros. Les commentaires se font ici moins nombreux
dans les médias, malgré la taille du stimulus, car les prédécesseurs
d’Abe ne se sont jamais privés pour injecter de l’argent qu’ils
n’avaient pas dans des projets sans avenir ou pour entretenir leurs
connections politiques. D’autant plus que ceci n’est pas sans risque,
car le gouvernement japonais est déjà endetté à hauteur de 230% de son
PIB.
Mini-Meiji
C’est la troisième flèche, celle des réformes du tissu économique, qui est potentiellement porteuse d’un vent nouveau pour le Japon. Comme on le sait, il s’agit d’un pays de tradition, culturellement sophistiqué, qui fonctionne en partie en circuit fermé à cause d’importantes barrières à l’entrée (dont par exemple la langue) et avec une organisation sociale très complexe. Cette dernière cherche à concilier des valeurs traditionnelles avec une économie tout ce qu’il y a de plus capitaliste, ce qui engendre des comportements pour le moins extrêmes. Par exemple, grâce à/à cause d’une forme de paternalisme des grandes entreprises, l’emploi est maintenu coûte que coûte, ce qui fait que le taux de chômage est traditionnellement bien plus bas qu’en Europe, mais au prix d’un mal-être au travail très fort. Typiquement, au lieu d'être licenciés, les employés indésirables sont littéralement mis au placard dans des oidashi-beya, des pièces de bannissement, où ils ne font qu'attendre la retraite…
Les chantiers sont nombreux : l’emploi des femmes, le
morcellement excessif des terrains agricoles et l’immigration sont aussi
des domaines où le Japon pourrait gagner en changeant son mode
d’organisation.
Il s’agit donc là d’impulser une nouvelle politique
industrielle et économique. Cependant ces bouleversements courent le
risque de ravager la structure de la société. D’aucuns comparent ces
réformes à la révolution libérale de Reagan et Thatcher dans le monde
anglo-saxon au début des années 80, qui a ouvert la voie à trente ans de
croissance stable, mais en entraînant dans son sillage une augmentation
très forte des inégalités sociales.
En tout cas, à l’heure où cet article est posté, Shinzo Abe
vient de gagner une majorité dans les deux chambres de la Diète,
l’assemblée japonaise, ce qui lui donne un mandat pour continuer de
réformer. Va-t-il réussir à secouer le Japon hors de sa torpeur ? Il est
probablement trop tôt pour le dire, mais les premiers signes semblent
déjà encourageants2.
Dans un second post, on reviendra plus près de chez nous,
pour savoir quels enseignements et quelles conséquences tirer des
événements au Japon.
Pour en savoir plus : Un très bon podcast de Noah Smith du blog Noahpinion sur FTAlphachat, le podcast du blog du financial times.
Pour en savoir plus : Un très bon podcast de Noah Smith du blog Noahpinion sur FTAlphachat, le podcast du blog du financial times.
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1 Normalement, si l’inflation est positive, la valeur
réelle de l’argent qui n’est pas placé s’érode au fur et à mesure du
temps, car €1 demain permet d’acheter moins de biens et de services
qu’aujourd’hui.
2 L’attaque semble pour le moment au moins porter ses
fruits sur le front des exportations : les annonces ont eu pour effet de
faire baisser le Yen ce qui fait baisser le coût des produits japonais
par rapport au reste du monde et améliore leur compétitivité.
1 commentaire:
Passionnant !
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