Près de la moitié des Français voient Marine Le Pen comme la
personnalité politique la plus à même de réformer le pays, et nombreux sont ceux qui sont tentés de voter pour elle, sans pour autant se reconnaître dans
l'idéologie de son parti. Nous
allons donc analyser le programme économique du FN en évitant la
bien-pensance mais assurément sans complaisance, et essayer de
comprendre les réelles implications de ce choix pour son électorat.
Non, non rien n'a changé...
Am stram gram... |
Pour parvenir à ce grand écart, le FN a bien changé de
discours économique depuis vingt ans : d'une certaine admiration pour le
libéralisme reaganien de la part de Jean-Marie Le Pen, le nouveau visage
du Front National offert par sa fille Marine Le Pen se revendique de
"l'Etat stratège" et de "l'anti-mondialisation". Mais les grands
quotidiens se trompent en se concentrant sur ce changement de
vocabulaire car il ne s'agit là que d'un faux semblant.
En effet, dans la bouche du FN, anti-mondialisation ne veut certainement
pas dire anti-capitaliste et anti-marchés, loin de là. Il s'agit en fait
d'une stratégie de repli sur soi, dans la droite lignée de l'idéologie
du parti.
Village Potemkine
On a dit en préambule qu'on ne verserait pas dans la
bien-pensance. Et bien disons-le sans détour, ce programme peut à
certains moment se révéler relativement pointu sur le plan économique et
recèle de plusieurs bonnes idées, même s'il peut rester stratégiquement
vague sur les chiffres1. Les rédacteurs
semblent, entre autres, être très au fait de la réalité de la gestion d'une petite
entreprise. Il y a quand même beaucoup de "Y'a qu'à", qui vont emporter
l'adhésion, mais qui manquent crucialement de détails : y'a qu'à
décomplexifier le code des impôts, y'a qu'à rationaliser la dépense
publique, etc.
Intéressante aussi est cette capacité à puiser de
l'inspiration hors de la sphère traditionnelle du FN. En effet, au
milieu d'un texte saupoudré de termes en anglais tels que "business
angels" ou "credit crunch", on trouve continuellement des références aux
pratiques étrangères, s'inspirant par exemple des Etats-Unis pour le
promotion des PME et de l'Allemagne pour ses politiques d'apprentissage.
Autre illustration, on dirait que le rapport Gallois a été lu, avec le
soutien à la formation en continu ("instaurera un véritable service
public de la formation tout au long de l’existence"), proposition qui n'a assurément rien d'extrémiste.
Il y a aussi certaines mesures qui peuvent sembler plus
nationalistes/souverainistes, avec lesquelles Economiam n'est pas
nécessairement d'accord, mais sur lesquelles l'extrême-droite n'a pas le
monopole. Prenons l'exemple du renforcement de l'Etat Nation face à la
mondialisation : ceci est très similaire aux propositions de
l'économiste américano-turc de Harvard, Dani Rodrik, pas spécialement
connu pour ses penchants xénophobes. Quant à la proposition d'abandon de
l'Euro, elle cherche à tirer sa légitimité des idées de Jacques Sapir,
un économiste penchant très fortement à gauche. On pourrait en fait s'attarder pendant des heures à peser
le pour et le contre des propositions du Front (repopulation des zones
rurales, fin de l'indépendance de la banque centrale, etc). Au lieu de
cela, concentrons-nous plutôt sur l'essentiel.
Car, sous ce vernis d'ouverture d'esprit et de défense de
l'opprimé, l'identité fondamentale du Front National affleure bien. En
creusant davantage on comprend en fait que sa stratégie économique
s'articule autour de plusieurs axes traditionnellement employés par les
partis d'extrême-droite : théories du complot et de la persécution des
petits par les puissants, et bien évidemment préférence nationale.
Théorie du complot
On trouve sur le site du FN une vidéo particulièrement
édifiante, qui répand la désinformation en mélangeant sans vergogne le
vrai et le faux. On y voit Florian Philippot, vice-président du parti,
s'attaquer au Fonds Monétaire International (FMI) en
affirmant que celui-ci propose de "spolier" 10% de l'épargne des classes
moyennes pour ramener la dette des Etats à leur niveau de 2007. De là,
semble-t-on comprendre, il tire un lien logique avec la nécessité de
suspendre l'indépendance de la Banque de France et avec le besoin de se
libérer de la "finance internationale". Or, à y regarder de plus près,
la mesure en question ne provient en fait que d'un encart théorique en p49 du Fiscal Monitor, une des principales publications du FMI,
où l'on évoque la possibilité d'une taxe ponctuelle sur le patrimoine
des ménages pour réduire le poids de la dette face aux options que sont
la répudiation et l'annulation dissimulée via l'inflation.
Rien de bien subversif surtout quand on voit écrit que "cette mesure
pourrait [italique d'Economiam] être considérée par certains comme équitable"...
Pour couronner le tout, une recherche rapide montre que cette "mesure"
n'a été reprise que par des sites colportant l'obscurantisme économique,
précisément ce qu'Economiam cherche à combattre.
Dans la même veine, on trouve la charge suivante de Marine Le Pen lors d'un discours de 2012 à Lyon :
"Goldman Sachs suscite partout de véritables coups d'Etat. Goldman Sachs place ses hommes à la tête des pays de la zone euro, Goldman Sachs place son homme à la tête de la Banque centrale européenne (BCE) et cela ne choque pas les belles âmes qui nous dirigent".
Le jeu consiste ici encore une fois à miser sur l'opacité technique et sur l'incompréhension du grand public pour accuser un groupe de manipuler le monde. Evidemment, le fait que ce thème ait été repris ad nauseam par les journalistes (comme par exemple dans le piètre La Banque de Marc Roche, du Monde), ne va aider à y voir clair. Mais parle-t-on aussi du "coup d'Etat" du MIT sur le monde de l'économie avec deux de ses anciens à la tête des deux principales banques centrales du monde ? Bref, tout ceci n'est qu'un écran de fumée visant attiser les rancœurs et la méfiance2.
"Goldman Sachs suscite partout de véritables coups d'Etat. Goldman Sachs place ses hommes à la tête des pays de la zone euro, Goldman Sachs place son homme à la tête de la Banque centrale européenne (BCE) et cela ne choque pas les belles âmes qui nous dirigent".
Le jeu consiste ici encore une fois à miser sur l'opacité technique et sur l'incompréhension du grand public pour accuser un groupe de manipuler le monde. Evidemment, le fait que ce thème ait été repris ad nauseam par les journalistes (comme par exemple dans le piètre La Banque de Marc Roche, du Monde), ne va aider à y voir clair. Mais parle-t-on aussi du "coup d'Etat" du MIT sur le monde de l'économie avec deux de ses anciens à la tête des deux principales banques centrales du monde ? Bref, tout ceci n'est qu'un écran de fumée visant attiser les rancœurs et la méfiance2.
Ce qui nous amène à notre thème suivant, la théorie de la
persécution du petit par les puissants, ce corolaire de la théorie du
complot. En effet dans le même discours, Marine Le Pen affirme : "Leur
système n'est pas fait pour nous peuple de France, leur système est fait
pour eux, petite élite, oligarchie restreinte, 1% de la population". Contrairement aux apparences, il ne s'agit ici pas d'une critique des
inégalités et de leurs conséquences potentiellement négatives. Leur
progression dans le monde développé est préoccupante, mais dans le cas
de la France, c'est aussi une façon de se défausser de ses
responsabilités comme on l'a dit dans un précédent post, de reporter la faute sur un groupe diffus et sans visage.
C'est "eux ou nous", ce qui donne le droit, il paraît, à
toutes sortes de raccourcis absurdes et réactionnaires : on refuse les
règles et institutions internationales car elles cherchent à flouer les
petites gens, on rejette le progrès technique au motif que c'est une
machination ourdie par le grand capital pour priver le travailleur du
revenu et de la dignité qu'il mérite, on refoule l'étranger comme une
menace à la fois insidieuse et omniprésente (voir vidéo à la fin de cet
article). En résumé, on ferme la porte à clefs, on rabat les volets et
on s'enterre chez soi...
Ce délire de persécution est un élément central de la stratégie du FN car c'est celui-ci qui lui permet de ratisser large en conciliant des idées de droite libérale avec des revendications de la gauche de la gauche.
C'est la faute à...
Mais nous avons gardé le plus inquiétant pour la fin, les
mesures néfastes en faveur de la préférence nationale. Pour le FN, le
message est clair, "La France, tu l'aimes ou tu la quittes"...
Les extraits suivants proviennent tous de la section
économique du programme (les fautes de frappe sont d'origine).
Clairement la chasse aux immigrés est ouverte :
- "on assiste parfois à une véritable « préférence étrangère » dans l’attribution des logements sociaux…"
- "Concernant le logement social, les Français y auront une priorité d’accès"
- "Cette assistance [le logement social] peut être étendue, dans des situations précisément définies par la loi, des immigrés en situation régulière mais elle ne doit en aucun cas être étendue aux étrangers en situation irrégulière ni à tous les immigrés en situation régulière."
- "La liste des emplois dits « de souveraineté » sera élargie, notamment dans les secteurs régaliens où les professions seront réservées aux personnes ayant la nationalité française."
- "le minimum vieillesse, rebaptisé « Allocation de solidarité aux personnes âgées », doit être réservé aux Français."
- "Concernant le logement social, les Français y auront une priorité d’accès"
- "Cette assistance [le logement social] peut être étendue, dans des situations précisément définies par la loi, des immigrés en situation régulière mais elle ne doit en aucun cas être étendue aux étrangers en situation irrégulière ni à tous les immigrés en situation régulière."
- "La liste des emplois dits « de souveraineté » sera élargie, notamment dans les secteurs régaliens où les professions seront réservées aux personnes ayant la nationalité française."
- "le minimum vieillesse, rebaptisé « Allocation de solidarité aux personnes âgées », doit être réservé aux Français."
On voit en filigrane une question qui fait les choux gras du FN : les
immigrants volent-ils les emplois et avantages sociaux des Français ?
L'immigration avec tout ce qu'elle peut entraîner comme dislocations
sociales, n'est pas un sujet trivial, mais nous répondrons ici par la
négative. Sur le plan théorique, l'immigration est mécaniquement source de
croissance via l'augmentation de la population : plus il y a de monde
dans un pays, plus il y a de bouches à nourrir et de biens à produire
pour satisfaire leurs besoins. Par exemple, l'apport démographique
extérieur est une des principales raisons pour laquelle l'économie
allemande va peut-être réussir à tenir le coup dans les décennies à
venir face à la natalité vivace de la France.
Ceci devrait aussi nous permettre de payer pour la protection sociale
face à l'inversion de la pyramide des âges. En pratique, l'immigration constitue le plus souvent une soupape puisque les
immigrants occupent souvent des emplois dont personne d'autre ne veut. Elle est enfin une source de talent directe (l'idiotie de la circulaire Guéant
!) ou indirecte, car n'en déplaise aux Le Pen, le héros de la
qualification de l'équipe de France de foot est un Titi parisien
prénommé Mamadou... Il est difficile de croire en la méritocratie au FN quand
on voit que la meilleure façon d'accéder aux responsabilités dans ce
parti, c'est sa généalogie.
Et puis au-delà du point de vue strictement économique, ce feu roulant de démagogie pose vraiment la question de ce qu'est un Français dans l'esprit du Front National. Les précédents historiques ne peuvent qu'inciter à la méfiance...
En conclusion, le FN est toujours mu par ses penchants d'extrême droite.
Certes les performances de la classe politique ces quelques dernières
années sont d'une folle tristesse. Mais il faut comprendre à quoi on
s'engage en votant Front National : on ne vote pas pour un parti qui
veut construire la France, mais pour un parti qui veut la mettre dans un
endroit sec et à l'abri de la lumière. On croit qu'on va pouvoir
préserver notre pays ainsi. A la place il va juste se déliter et
mourir... La solution ne peut pas venir du rejet de l'autre, du repli
sur soi et sur la peur et du refus du monde qui nous entoure.
1. Certes le FN n'est pas un parti comme les autres, mais il n'en oublie pas pour autant de manipuler l'hypocrisie politique qu'il dénonce à "l'UMPS".
2. Attention, on n'affirme pas ici que le secteur financier en général et Goldman Sachs en particulier sont à l'abri des reproches, loin s'en faut. Cependant, on a du mal à croire que le choix de la cible est complètement anodin...
2 commentaires:
Étrange article. Dans le chapeau, il est question d'"analyser le programme économique du FN en évitant la bien-pensance mais assurément sans complaisance". J'ai lu l'article, mais je n'ai pas vu d'analyse économique. Vous passez 1/3 de l'article à nous dire que des économistes respectables tiennent des positions économiques similaires, sans émettre de jugement dessus. 1/3 a parler de la rhétorique du FN et un dernier tiers à fustiger des choix à propos de l'immigration qui ne relèvent pas tous du domaine économique. Quid du protectionnisme, de la sortie de l'euro qui sont des divergences majeures par rapport aux autres partis ?
"Sur le plan théorique, l'immigration est mécaniquement source de croissance via l'augmentation de la population : plus il y a de monde dans un pays, plus il y a de bouches à nourrir et de biens à produire pour satisfaire leurs besoins."
Je suis un peu dubitatif, je m'y connais pas en économie donc corrige-moi si je dis n'importe quoi. Si on prend le Luxembourg, les luxembourgeois ne produisent pas des biens qui seraient consommés par des immigrants (nourriture, électroménager etc.). Imaginons un afflux massif d'immigrés non qualifiés au Luxembourg, en quoi la production va augmenter exactement ? J'ai l'impression que c'est surtout le déficit de la balance commerciale qui augmente. Ton exemple théorique me parait assez déconnecté du libre-échangisme ambiant.
"En pratique, l'immigration constitue le plus souvent une soupape puisque les immigrants occupent souvent des emplois dont personne d'autre ne veut."
Mais pourquoi personne ne les veut ? Probablement parce que les salaires ne sont pas assez élevés, si le salaire d'un éboueur était de 10.000 €, je pense qu'il y aurait beaucoup de candidats parmi les natifs. Or l'immigration en amenant ce vivier -- tel l'armée de réserve des capitalistes -- entretient de faibles salaires. Tu parlais de dislocation sociale et bien en voilà. Théoriquement, l'immigration tire les salaires vers le bas et dans notre cas ça me semble être les emplois les moins qualifiés. Qu'est-ce qu'on doit dire aux classes populaires ? Que tout va bien ?
"Elle est enfin une source de talent directe (l'idiotie de la circulaire Guéant !) ou indirecte, car n'en déplaise aux Le Pen, le héros de la qualification de l'équipe de France de foot est un Titi parisien prénommé Mamadou..."
Je comprends l'argument, mais il me semble boiteux. Mamadou Sakho n'est pas un immigré, c'est un français comme tous les autres français. Il est né en France, a grandi en France, a été formé en France. J'ose croire que l'environnement compte tout autant (sinon plus) que les gènes pour ce qui est du talent au football. Ce genre d'arguments fait à mon avis le jeu des racialistes qui font tout pour distinguer les vrais français qui seraient blancs des autres. Or notre tradition est profondément universaliste, on est français parce qu'on adhère à une communauté politique. Pour moi Mamadou Sakho et Tony Parker sont des produits français.
Bonsoir, merci pr votre commentaire.
Vous avez bien raison, le protectionisme et la sortie de l'Euro st des sujets majeurs, qui différencient les extrêmes des partis majoritaires, et qui mériteraient des analyses en propre. Cependant, je les ai volontairement laissés de côté. Je m'explique: malgré des conséquences potentiellement (très) négatives, ce sont des sujets qui peuvent faire l'objet d'un débat démocratique, un peu comme la constitution européenne à l'époque. Il est même possible que le FN laisse complètement tomber ces propositions par opportunisme politique si d'aventure il arrivait au pouvoir. En revanche l'identité profonde du FN, elle, est à mon sens sans appel. Il n'y aura pas de retour en arrière possible, et c'est pour ça que c'est le vrai facteur décisif. J'espère que cela éclaire un peu la structure de cet "étrange" article.
Par souci de lisibilité, le passage sur l'immigration est volontairement très court. Je vais essayer de développer en répondant à vos pts:
- Le Luxembourg est un pays intéressant. Vous parlez là d'une petite économie ouverte qui pourrait être vue comme un contre exemple de ce que j'avance. Cependant, ses principales productions sont la finance et les instances européennes, deux "industries" qui requièrent énormément de main d'oeuvre et effectivement, les immigrants composent 37% de la population (!), sans parler des transfrontaliers. L'immigration permet dc à ce pays d'accomplir son potentiel.
- Je m'attendais à voir surgir l'armée de réserve. Il est sûr qu'un afflux massif et soudain de travailleurs peu qualifiés (l'offre de travail) va faire baisser le prix d'équilibre du marché (les salaires) sur le court terme. Ms l'"armée de réserve" n'est qu'un facteur parmi une myriade et il n'est dc pas absurde de penser que la main d'oeuvre étrangère répond à certains besoins spécifiques sur des jobs peu courus... Je suspecte que l'Insee va avoir des études econometriques pr démêler tt ça, je vais voir si je trouve qqch. Je ne dis pas que tt va
bien, je dis que l'immigration n'est vraisemblablement pas la cause de tous nos problèmes.
- Nous sommes parfaitement d'accord sur Sakho, c'est un parisien de coeur et de naissance, c'est pourquoi je le décris comme un Titi. En revanche vs m'avez mal lu: pas de racialisme ici (blanc ou autre), simplement si la famille de Mamadou Sakho n'avait pas choisi de et pu émigrer en France, la France ne pourrait pas aujourd'hui compter sur le talent qu'elle a su cultiver chez cet homme.
J'espère que cela apporte un debut de réponse à vos remarques.
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