Economiam veut aussi parler de ces économistes français qui
font avancer la science à l'étranger. Aujourd'hui, une présentation
d'Esther Duflo et de ses travaux sur l'économie du développement.
Action woman
Cet article aurait pu s'appeler "éloge de la contingence". On reproche souvent aux économistes de trop vouloir raisonner en absolu avec des grandes théories (de préférence mathématiques). Esther Duflo, elle, a choisi de prendre le chemin inverse et de mettre les mains dans le cambouis : plutôt que de s'attaquer en bloc à un grand problème mal défini, en l'occurrence la pauvreté, elle a décidé de se consacrer à une série de cas particuliers, en procédant étape par étape.
Ce programme est contenu dans le nom de l'unité de
recherche qu'elle a créée au MIT, le Poverty Action Lab (PAL). Car tout
est là : sortir de son bureau pour agir plutôt que de débattre dans
le vide sur des théories qui rechignent à être mises en pratique.
Un coup de dé jamais n'abolira le hasard
Mais autant laisser la parole à la principale intéressée dans cette vidéo (sous-titrée en français) filmée lors d'une conférence TED :On voit donc qu'un des principaux apports de ses travaux (en collaboration avec son directeur de thèse et co-fondateur du PAL, Abhijit Banerjee) est l'adaptation à l'économie d'un outil utilisé depuis longtemps par la médecine : l'essai randomisé contrôlé. Cette méthode a ainsi fait ses preuves pour juger de l'efficacité de telle ou telle mesure en contexte réel, mais elle soulève un certain nombre de problèmes (en particulier éthiques) auxquels Duflo et Banerjee tentent de répondre dans ce papier.
On pourrait de façon plus générale reprocher deux choses à la façon de procéder de Duflo et de ses collègues du PAL :
- Productivité : La méthode du cas par cas est limitée par deux aspects, transposition et nombre de gens touchés. Pour le premier, comme Duflo l'admet elle-même, ce qui est vrai pour l'Inde ne l'est pas forcement pour le Kenya. Et ensuite, résoudre des cas particuliers c'est bien, mais quand le problème concerne des centaines de millions de personnes, on peut y travailler longtemps... Cependant, vu le nombre de francs succès qu'elle a obtenus en disséminant ses méthodes, on peut penser qu'elle a fait suffisamment avancer la science dans ce domaine pour permettre, qui sait, des développements de plus grande échelle dans le futur
- Rendement décroissants : On lui reproche aussi un biais de sélection, en s'attaquant à des problèmes qui vont pouvoir être tranchés facilement. Or il est possible que de tels cas de figure soient de moins en moins nombreux et qu'il soit de plus en plus difficile pour ce genre d'expérience de vraiment porter ses fruits. Cependant, chez Economiam on pense qu'on part de tellement bas qu'on n'est pas près d'en arriver là.
Paternalisme
En schématisant, les travaux d'Esther Duflo consistent à trouver des solutions pour permettre la mise en œuvre d'un bien social. Dans le cadre de ses expériences, ce bien est sans ambiguïté : être sain est mieux que d'être malade et manger à sa faim est mieux que souffrir de la famine. Mais l'expérience montre que la mise en application de ces concepts (évidents pour nous) requiert une certaine dose de paternalisme quand il s'agit de vivre avec moins de 1$ par jour. En effet, un autre aspect de sa recherche montre que ceux qui vivent dans le dénuement le plus extrême souffrent des mêmes biais cognitifs (procrastination, etc) que les autres, même si pourtant les conséquences leur sont beaucoup plus funestes.Dans une conférence récente, elle explique et défend son avis sur le besoin de paternalisme. Et on y sent la double formation de Duflo en histoire et en économie, grâce à sa capacité à mettre en perspective historique les phénomènes économiques liés à son sujet. Elle cherche ainsi à répondre à des problèmes qu'un livre emblématique comme Nudge passe discrètement sous le tapis quand il s'agit d'appliquer le paternalisme aux pays riches.
Prix Nobel ?
Son début de carrière a été une ascension fulgurante: Normalienne (Ulm), elle est par la suite assistante de recherche de Daniel Cohen et Jeffrey Sachs (le pape de l'économie du développement), tout en commençant sa thèse en économie au MIT. A la conclusion de celle-ci, elle est embauchée directement par son université de formation, du jamais vu dans un monde où les jeunes doctorants doivent systématiquement commencer par faire leurs preuves ailleurs ! Enfin, elle est tenured (en poste à vie) à 29 ans, probablement un record !
Depuis, Esther Duflo croule sous les récompenses : prix
McArthur (la fameuse "genius grant"), Prix du meilleur jeune économiste
en 2005, médaille de l'innovation du CNRS en 2011, et même Livre de l'année pour Poor Economics (Repenser la Pauvreté en français).
Et puis surtout, elle a reçu en 2010 la médaille John Bates Clark, décernée par l'AEA, l'association des économistes américains. Ce prix très prestigieux vise à récompenser les meilleurs économistes de moins de 40 ans et on retiendra en particulier que c'est un indicateur statistique très puissant en vue d'un prix Nobel dans quelques années...
Et puis surtout, elle a reçu en 2010 la médaille John Bates Clark, décernée par l'AEA, l'association des économistes américains. Ce prix très prestigieux vise à récompenser les meilleurs économistes de moins de 40 ans et on retiendra en particulier que c'est un indicateur statistique très puissant en vue d'un prix Nobel dans quelques années...
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