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Le poids des idées...
Un million et demi de ventes dans le monde, en voilà une palanquée de bouquin ! Pourtant, les statistiques ne mentent pas : les passages surlignés par les utilisateurs du Kindle d'Amazon se concentrent étrangement sur les deux premiers chapitres... Partant, vous pouvez être presque sûr que si quelqu'un vous parle du Capital au XXIe Siècle, il/elle ne l'a probablement pas lu jusqu'au bout. En cela, Piketty est certainement le digne héritier de Marx et de son livre Das Kapital, que personne non plus ne lit...Voilà donc l'opportunité de briller! Economiam se propose donc de vous souffler les bons mots qui feront mouche et les réflexions subtiles qui vous transformeront en une référence auprès de ceux qui auraient abandonné leur lecture, sans prendre la bonne habitude de lire ce blog1 ! On aborde tour à tour, le contexte du livre, son contenu, les premières réactions puis ce qu’on pense qu’il faut en penser.
Buzz moi
- L'auteur : « Une rockstar bien sûr ! » Mais n'oubliez pas de glisser que ce livre s'appuie sur la collaboration de Piketty avec une trentaine d'auteurs (name-dropping : Atkinson et Saez).
- Le format : « Du lourd ! » (950 pages hors annexes, quand même...). Pour faire bonne mesure : « Les graphiques et les références littéraires agrémentent vraiment la lecture, même si l'ensemble est un poil bazardesque... ».
- Le Petit/Grand Journal : Avant d’être interviewé en grande pompe sur le plateau du Grand Journal, le Piketty 2013 s’est fait avoir par le Petit Journal qui s'est payé sa tête en jouant sur l'impossibilité de lire un tel pavé en une nuit (vidéo retirée depuis semble-t-il).
Répétez après moi: Ere plus grand que gé
- Big data : Le livre est en premier lieu un énorme travail de collecte de données brutes sur série longue. Point bonus à ceux qui arrivent à caser Ernest Labrousse et « histoire sérielle » dans la conversation.
- Les deux « lois fondamentales du capitalisme » : Les formules, c’est cool pour ceux qui aiment une pincée de maths dans leur lecture de plage. Accessoirement, Piketty s’en sert aussi pour évaluer le rapport de force entre capital et travail. Moralité : c'est mal barré pour le travail, avec la phrase culte : « le passé dévore l'avenir », c’est-à-dire que l’entrepreneur à succès d’aujourd’hui se transforme en rentier de demain.
- Haro sur les 1% : Les inégalités sont le cœur de ce qui a fait parler du livre. Car, contrairement à ce que conjectura l’économiste Simon Kuznets dans les années 50, les inégalités au sein des pays ne se réduisent pas nécessairement à mesure que le niveau de vie augmente, passé un certain seuil (voir illustration ci-dessous).
Courbe de Kuznets, ça marche pas... (c) Oeconomia - Gagner beaucoup : Les hauts revenus s’en sortent bien relativement aux autres. On explique souvent ceci par leur maîtrise des outils technologiques, les hauts salaires étant ainsi implicitement la juste rémunération de la productivité. Cependant, selon Piketty, cette hypothèse est probablement trop grossière à l'échelle de la décennie, où les structures institutionnelles comme le niveau du salaire minimum ainsi que les formes de gouvernance d'entreprise jouent un rôle important dans la formation des salaires. Il en veut pour preuve que les disparités de revenu peuvent être très grandes même à niveau de formation égal.
- Posséder beaucoup : On arrive dans le désormais fameux « Chapitre 10 ». La propriété du capital est là où les inégalités sont les plus marquées : en France aujourd'hui, les 600 000 plus grosses fortunes possèdent collectivement approximativement un quart du capital national, avec une tendance haussière depuis les années 70. Dans le même temps, la moitié de la population n'a quasiment pas de patrimoine. Le point fondamental :
r > g
-
Un taux de rendement du capital r plus grand que le taux de croissance g (comme c’est le cas historiquement) serait une source importante des inégalités de patrimoine, par composition : en étant en mesure de réinvestir plus que g simplement à partir de leur revenus du capital, les possédants peuvent faire croître leur stock de capital plus rapidement que le revenu moyen. Certes, les guerres mondiales avaient clairement fait table rase de ce passé dévorant, où les 1% contrôlaient jusqu'à 60% du capital. Mais pour Piketty, on va y revenir au XXIe siècle.
- Quelles politiques publiques : Fort de ces constats, Piketty propose un impôt mondial sur le capital ainsi qu'un retour aux niveaux « confiscatoires » des années 60-70, quand les Beatles, subissaient un taux d'imposition marginal de 95% (c’est-à-dire que 95% de leurs revenus au-delà d’un certain seuil était prélevé en impôt).
Les critiques qu’on va vous opposer
- Du Financial Times : Selon le journal britannique, Piketty aurait été plus qu'approximatif dans le traitement de ses données. Ce qu'il faut en penser : Non mais allô, les mecs du F-Tee ils ont jamais ouvert Excel ou quoi ? Clairement, les erreurs de saisie ne concernent pas le résultat central du livre, bien au contraire de la controverse Reinhart et Rogoff (cf. encadré 9.2 de Fluctuations et Crises).
- De Frédéric Lordon : Vu qu'on est en France, il va bien se trouver quelqu'un qui aura lu le « Diplo » et vous asséner que Piketty ne parle pas vraiment de capital. Ce qu'on suggère de répondre : « Même imparfait, le capitalisme a été, et reste, un formidable moteur de croissance économique et de développement humain. Mais on peut toujours discuter des bienfaits de l'abolition de la propriété privée. » (Il faut toujours discuter avec ces gens, sinon ce soir sera votre grand soir).
- De Matt Rognlie : Le commentaire de ce doctorant du MIT sur Marginal Revolution concernant les estimations chiffrées de Piketty fit beaucoup parler. Son argument principal est que les estimations du livre ne tiennent pas la route à cause de la dépréciation du capital (en version longue ici et ici). Ce qu'il faut en penser : Un épiphénomène Web comme Internet sait les créer, ici façon débat technocratique. Rognlie développe des arguments mathématiques rigoureux quand Piketty cherche surtout à donner une intuition soutenue par les données. Bref, même s'il n’a pas tort, il raffine plus qu’il ne chamboule la thèse générale.
Pour rajouter votre grain de sel
- r > g et les inégalités, c'est pas aussi clair qu'on le croirait : Déjà, dans les « modèles économiques standards » de la page 571, ça peut arriver sans forcément générer des inégalités (pour plus de détails, voir ici). Ensuite, r n’est pas une quantité aussi évidente qu’il n’y paraît. Si l'on suit suit l'argument de Rognlie, les forts taux d’obsolescence dans les nouvelles technologies font que le rendement net de dépreciation (c'est-à-dire du coût du remplacement du capital) est relativement faible. Et puis, est-ce une quantité pondérée du risque ? Faute d'en tenir compte, difficile de savoir si l'écart mesuré est important ou non. En effet, la plupart des gens qui boursicotent veulent être compensés de la probabilité non négligeable de perdre leur mise par rapport au livret A. C'est ce qu'on appelle l'aversion au risque.
- La lutte des classes : Les dynamiques d'accumulation de patrimoine sont extrêmement difficiles à mesurer car elles doivent reposer sur une mesure dans le temps de trajectoires individuelles, au lieu de simplement une vue en coupe transversale comme le fait Piketty (ce qui est déjà suffisamment galère à obtenir comme ça!). Il est donc expédient de considérer des classes sociales immuables, matérialisées par le centile supérieur. On a déjà argumenté ici que c’est une façon de penser légèrement fallacieuse. Enfin Piketty ne tient pas compte des systèmes de redistribution, notamment de retraite, qui sont non négligeables dans le calcul de la richesse.
On vous laisse sur cette chanson des Beatles, expliquant leur ressenti par rapport au taux marginal de 95% en vigueur au Royaume-Uni dans les années 60.
1. Bon, il y a déjà eu un angle similaire ici, mais bon on pense que c’est plus lisible ci-dessus :)
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