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mardi 10 juillet 2018

DSGE: Je monte, je valide !

Chez Economiam, on aime les débats, mais on n'aime pas quand ils sont stériles. Alors on s'attaque à du lourd aujourd'hui, le cœur de la modélisation macroéconomique standard, telle qu'on peut la trouver dans les banques centrales. Ne décrochez pas tout de suite! C'est en se basant sur ces modèles, les fameux DSGE, que Janet, Mario et les autres prennent leurs décisions, celles qui impactent directement votre vie. Et si vous fermez la page maintenant, vous n'aurez plus non plus le droit de vous plaindre que la discipline économique est trop mathématique ! Economiam vous emmène donc en douceur dans ce monde chimérique pour comprendre comment on valide un modèle.

Dans le cambouis

DS...
Dans les réseaux sociaux, comme dans les canaux institutionnels un peu plus conventionnels, on parle beaucoup de "ces modèles qui n'ont pas vu venir la crise". Les analyses, mêmes sérieuses, évitent soigneusement de rentrer dans les détails techniques, et résultat les gens ne savent pas trop ce qu'on critique. Chez Economiam, on pense que c'est une erreur, et que, comme une image, une équation vaut mille mots (enfin presque...). C'est juste qu'on en voit moins souvent dans le journal!

 


Prenons donc le modèle Dynamic Stochastic General Equilibrium (DSGE) de base, on le montre ici brut de décoffrage dans sa splendeur mathématique (si ça vous fait peur sautez directement jusqu'au texte qui suit):


Qu'est ce qu'il se passe là dedans? On postule que l'économie est régie par les principes suivants:

  • On considère les interactions entre ménages et entreprises, afin d'en déduire les quantités agrégées comme le PIB (au lieu de modéliser ce dernier directement par exemple)
  • Les ménages choisissent leurs dépenses (C) et leurs heures travaillées (H) à toutes périodes dans le futur de façon à refléter au mieux leurs préférences en terme de consommation et de loisirs
  • Les entreprises sont en situation de concurrence pure et parfaite. Elles choisissent leur niveau d'investissement (I), de façon à maximiser leur profit, en tenant compte de leurs besoins en heures travaillées et en capital (K qui se deprécie d'une période sur l'autre)
  • De plus, la consommation et l'investissement doivent égaler la production (il n'y a pas de valeur créée à partir de rien)
  • Il y a des chocs de productivité (z) qui sont aléatoires. Comme on l'explique dans Fluctuations et Crises, toute l'incertitude et par conséquent les crises économiques sont résumées au sein de ces chocs, qu'on peut interpréter comme des progrès ou régressions technologiques


Donnez moi un D! Donnez moi un S ! ...

Comme le fait Anton Korinek de l'université Johns Hopkins, il convient d'expliquer en quoi cette classe de modèle est Dynamique, Stochastique et à Equilibre Général:

  • S comme Stochastique : Comme on l'a vu, il y a une composante aléatoire (autrement appelée stochastique) via les chocs de productivité. Celle-ci est censée représenter la notion que les crises sont imprévisibles car logiquement, si les gens sont parfaitement rationnels, ils feraient tout pour les éviter et donc elles ne se matérialiseraient jamais
  • D comme Dynamique: Les ménages et les entreprises vont toujours chercher à faire au mieux (à optimiser comme on dit), et à s'adapter à toutes les situations, ce qui est utile quand on cherche à comprendre l'impact desdits chocs ci-dessus. En étendant la représentation pour y inclure une banque centrale ou un gouvernement, on peut par exemple s'atteler à comprendre les problèmes d'incohérence temporelle, en d'autres termes savoir si les décideurs économiques sont crédibles, ou s'ils vont renâcler à la moindre occasion (tel notre ami Boris Johnson)
  • GE comme Equilibre Général (enfin, on se comprend...) : Trouver la solution de ce système d'équations permet donc de déterminer la valeur des différents éléments (salaires, production, etc.) dans tous les scénarios possibles. Comme on considère que ces équations représentent l'économie dans son ensemble, cette solution est ce qu'on appelle un équilibre général (le GE de DSGE), par opposition à un équilibre partiel, où certains éléments seraient déterminés par ailleurs et injectés dans le système

Il y a un aspect supplémentaire qui fait beaucoup parler, les fondements microéconomiques (ou microfondations en bon franglais). C'est quoi ce truc? Et bien c'est la réponse que les modélisateurs ont trouvée pour pouvoir représenter proprement des réalités alternat
GE...
ives, le fameux ceteris paribus ou "toutes choses égales par ailleurs" appliqué à l'économie. La génération de modèles précédente n'en était pas vraiment capable, ce qui a poussé Robert Lucas (Prix Nobel d'économie 1995 et ancien président de l'Association des économistes américains) à les remettre en cause violemment, ce qu'on appelle la critique de Lucas. Les microfondations répondent donc à ce problème en essayant d'agréger les composantes économiques élémentaires (les ménages, les entreprises...), en s'appuyant sur les préférences à un niveau microéconomique. Ces préférences sont ainsi supposées invariantes avec la conjoncture (par exemple mon goût pour les glaces ne dépend pas de la situation économique globale). Ce sujet mérite un post à part entière, donc on en restera là pour le moment, mais on notera juste que passer du micro au macro est loin d'être évident.



Ah bah oui, forcément...

Revenons à ces magnifiques mathématiques: pour rendre le modèle plus facile à résoudre on fait notamment les hypothèses suivantes :

  • Les ménages sont agrégés en un seul agent, dit représentatif. On ne doit alors résoudre que pour un seul choix de consommation et d'heures travaillées 
  • De surcroît, cet agent représentatif est immortel, ce qui permet d'écrire une somme infinie et de s'abstraire des questions d'épargne et de transmission d'héritage 
  • Ces mêmes ménages sont dotés d'une capacité de calcul infinie (la chance !) qui leur permet d'optimiser leurs décisions économiques pour toute éternité. On appelle ça les anticipations rationnelles (ou Homo economicus avec une pointe d'ironie)
  • Il est possible de produire n'importe quelle quantité de biens et services, ainsi que d'emprunter autant que nécessaire, et ce dans tous les états du monde. Les marchés sont dits complets.

On notera aussi qu'il n'y a pas de monnaie, pas de rôle de l'Etat et pas de commerce international. Mais c'est plus un choix de présentation de ce post, car on considère ici le noyau dur des modèles DSGE, dit Real Business Cycle initialement développé par Kydland et Prescott (qui leur valu le prix Nobel en 2004). Cependant le modèle standard, dit Néo-keynésien, introduit bien la monnaie, et des extensions standards considèrent explicitement l'Etat ainsi que les économies ouvertes.

Bien évidemment, ces hypothèses en surprendront plus d'un, car on le sait bien :

  • Nos économies sont composées de dizaines ou centaines de millions d'individus, de tous âges, exerçant des métiers différents, certains riches, certains pauvres.
  • Les gens meurent !
  • Ce modèle est déjà difficile à résoudre pour des étudiants du supérieur équipés d'un ordinateur, alors imaginer que les gens résolvent ce programme d'optimisation dans leur tête, il faut être zinzin!

Mais on voit aussi que les civilisations extraterrestres ne sont pas représentées. Est-ce pour autant grave? Car il faut bien rappeler que les modèles sont une représentation schématique et simplifiée du monde. C'est Rodrik qui reprend l'image des cartographes de Borges, qui sont tellement obsédés par la précision que leur carte est à l'échelle 1:1 ! Toutes ces critiques ne se valent donc pas.

On va donc discuter dans une série d'articles du bien-fondé de ces hypothèses, ainsi que des techniques utilisées pour résoudre ces modèles en utilisant quelques principes de base de la validation de modèle:

  • L'objectif du modèle (prédiction, inférence, pédagogique...) est crucial dans son évaluation. Allez essayer de prédire la prochaine crise avec IS-LM! Mais son but avoué étant pédagogique, il serait injuste de le considérer à cette aune. C'est aussi ce que dit implicitement Olivier Blanchard au sujet des toy models dans un post de l'an dernier.
  • L'importance effective des hypothèses ne peut pas s'évaluer uniquement à l'aide de raisonnements de bon sens. Il faut relâcher les hypothèses en question, de préférence en partant de la même base, soit utiliser des modèles alternatifs, même s'il faut là encore faire attention à la spécification de ces alternatives
  • La cohérence interne est une nécessaire mais pas suffisante pour pouvoir donner une évaluation positive. Cette cohérence interne peut être de plusieurs ordres : tout d'abord purement mathématique, c'est à dire que si par exemple 1 + 1 ne font pas 2 dans le modèle, il y a clairement un problème. Elle peut aussi venir de la théorie économique : les équations présentées ci-dessus s'intègrent avec la comptabilité nationale et tiennent compte des facteurs de production.
  • Mais former un tout cohérent ne peut se substituer à la confrontation aux données réelles. C'est ici que les principaux reproches peuvent être adressés aux DSGE, et que l'économie de pointe montre à quel point elle a (eu) tendance à être juste une approche scientifique à défaut d'être une science. Notamment, historiquement ces modèles sont "calibrés", ce qui est une belle façon de dire qu'on regarde à la louche si le modèle reflète certains aspects des données, sélectionnés avec soin, en lieu et place d'une évaluation statistique rigoureuse (très complexe ici, il faut l'admettre). 

La conclusion de tout ça pour Economiam c'est qu'il faut plus de maths, pas moins! En ça je contredis assez frontalement Antoine Belgodère, mais j'espère pouvoir bien cimenter mon cas dans les prochains posts.

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